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Impossible Planète – Episode 47 (Final)

Episode 1 / Episode précédent

Une absurdité parfaitement résumée par le cri du cœur qui échappa à Cap’ dans la seconde suivant la confirmation formelle de l’information par les senseurs de Larsen.

« Mais comment ça bombarder la surface ? C’est censé être un étoile, artificielle ou pas, bordel de merde, ça se bombarde pas, une étoile ! Donnez moi au moins une explication, sinon je prends les commandes et je nous fracasse directement contre les parois, j’en ai plus rien à foutre !  »

L’explosion de colère confuse fut réceptionnée avec un silence prudent par le reste de l’équipage, pas très sûr de savoir comment réagir à une sortie si inhabituelle de la part de celle qui constituait normalement le phare dans la tempête. C’était elle, normalement, celle qui savait faire preuve du sang-froid dont tout le monde manquait.
Mais la l’instant fut interrompu par une nouvelle onde de choc. Puis une autre, à un intervalle légèrement plus court, les demi-secondes que tout habitué·e de l’espace apprend à identifier à force de dangereuses péripéties. Tombal n’attendit pas les autres et se décida à retourner plus près de la surface pour éviter que l’addition des choc soniques sur la coque ne risquent de l’endommager, même marginalement.
Une fois le vaisseau éloigné et clairement à l’abri d’un quelconque danger, on commença à de nouveau s’interroger parmi l’équipage, sans la moindre efficacité ni cohésion. C’était une frustration de trop, une incompréhension nouvelle qui venait rendre la situation définitivement insupportable pour tout le monde.
Par chance l’explication vint assez vite, quand une énième interférence dans les communications se transforma en un horrible bruit blanc, extrêmement désagréable, faisant taire tout le monde. Puis se mua en un long cri désarticulé à peine moins agressif pour les tympans, la traduction sonore de la torture numérique subie par Hector alors qu’il parvenait enfin à retrouver une place dans l’architecture du vaisseau d’Achille. Entendre sa voix de nouveau par le truchement des enceintes intégrées ramena un semblant de calme angoissé.

« Salut les potes ! Désolé pour les perturbations, c’était grave la merde pour vous rejoindre ! L’a fallu que je me reconfigure partiellement et que je m’auto-zippe de partout pour tenir dans l’espace qui reste… Bonne nouvelle, par contre, j’ai réussi à instituer une sorte de système-relais pour rester en contact correct avec les systèmes de la planète, je vais pouvoir vous tenir au courant en temps presque réel. Et soyez rassuré·e·s, Achille est toujours parmi nous sans déficit. Pas vrai mon vieux ?
– Oui.
– Comme il est poli, cet Achille, merveilleux. Bon, je vous la fait courte : nos aventures dans le noyau ont complètement mis le système énergétique de la planète entière sur les rotules. J’ai pas les détails, mais en gros, depuis la tentative de capture ratée dans le noyau, le moteur est cramé et ne peut plus assurer toutes ses activités. Si vous voulez mon avis, c’est une surcharge, et je crois bien que c’est de ma faute. Mais du coup, l’important, c’est que ça veut dire plus de rayonnement extérieur, parce que c’est le secteur le moins prioritaire pour que l’endroit continue à fonctionner à peu près normalement. Comprenez, y a sans doute moyen de créer des Drogos supplémentaires pour mener des réparations sommaires et de là remettre tout le bouzin en état, quelque chose du genre. Et pour ce qui nous intéresse présentement, de ce que j’ai pu voir avec les capteurs – défectueux, du coup – le Consortium a décidé d’y aller à coup d’ogives. Pour vous déloger ou vous forcer à bouger, j’imagine. Je…
– C’est ça que t’appelles faire court ? Qu’on nous préserve de tes élans les plus bavards ! Mais merci du rapport, j’ai senti un vrai effort de concision. »

Pas de silence ou d’hésitation, cette fois ci. Plutôt une injection subite et brutale d’énergie et d’envie. Il avait suffi de cette urgence nouvelle pour provoquer un électrochoc plus que bienvenu. Cap’ tapa dans ses mains avec force, provoquant un son sec et violent qui rappela les moindres neurones endormis à l’ordre. Elle n’eut même pas besoin de verbaliser ses ordres : son sourire carnassier et l’étincelle joyeuse dans ses yeux l’avaient fait pour elle.
Il était enfin temps de passer à l’action.

Grâce à la longue et minutieuse préparation du plan, tout le monde savait exactement quel était son rôle. Et l’envie d’en finir une bonne fois pour toute avec cette pénible aventure ne faisait que donner à chacun·e une détermination inébranlable pour faire son travail au mieux.
Le premier à agir fut Tombal, qui exécuta un rapide aller et retour à la surface pour aller chercher Korey et Badj pendant que le reste de l’équipage attendait pour remplir leurs propres fonctions, exécutant une dernière check-list pour le principe. Les deux anciens du Consortium n’eurent même pas le temps d’exprimer leur surprise quand le pilote surgit spectaculairement dans leur prison de fortune, avant de se faire étourdir par deux tirs de stunner. Ils furent attachés et baillonés, stockés dans la soute du vaisseau en quelques minutes à peine, pour un éventuel usage ultérieur. Les sauver était aussi un geste d’humanité et une potentielle preuve de bonne foi pour de futures emmerdes juridiques avec la Fédération, mais c’était un détail.
Puis quand tout le monde fut finalement en place, Hector et Achille furent mis à contribution pour établir un dernier plan de bataille enrichi de toutes les découvertes et options offertes pas la planète. Ils en profitèrent surtout pour localiser le vaisseau originel de l’équipage, aligné avec les autres du Consortium dans l’embargo autour de la planète. Par chance, il était assez facile d’accès ; personne ne pouvait censément se douter de son importance dans le plan devisé par Cap’. Et de toute manière, il y avait fort à parier que la compagnie de mercenaires, dans son éternelle arrogance, devait se sentir invincible avec l’armada d’une trentaine de vaisseaux de guerre mobilisés autour de l’étoile en une formation semi-circulaire, destinée à intimider plus qu’autre chose.
Cap’ activa la télécommande sortie de la poche de son scaphandre, et l’iris s’ouvrit devant elle et ses compagnons. Tombal envoya toute la puissance des moteurs pour propulser leur ridicule vaisseau au devant de leurs ennemis. La vitesse était primordiale pour que le reste du plan se déroule sans accrocs. À la seconde où leur coque de noix stellaire fut bien visible et à portée des comms du Consortium, Larsen envoya sur les ondes le message que Cap’ avait enregistré des jours auparavant, coupant court au bombardement de l’étoile artificielle et lançant officiellement les hostilités.

« Chers amis du Consortium ! Ceci est votre premier et dernier avertissement ! Nous avons fait des découvertes primordiales à l’intérieur de l’étoile, et malgré ce que les apparences pourraient vous laisser croire, vous n’avez absolument aucune chance de vous en sortir en vie si vous ne nous laissez pas partir d’ici en paix. Au moindre signe nouveau d’agressivité de votre part, nous déchaînerons sur vous une puissance que vous ne pouvez seulement pas imaginer, et vous regretterez amèrement d’avoir croisé le chemin d’une force désormais unique et inarrêtable à l’échelle de la Fédération toute entière ; que cette dernière même devra apprendre à craindre. Vous voilà prévenus. Nous vous laissons 15 secondes pour obtempérer, pas une de plus. »

À peine les derniers mots transmis dans l’éther, Larsen et Burrito se mirent au travail sur leur part du plan, ne s’accordant même pas le droit de suer d’angoisse à l’idée d’échouer. Les 15 secondes citées par Cap’ n’étaient pas anodines, c’était le temps maximum auquel ils avaient droit pour infiltrer les sécurités informatiques de leur ancien-futur vaisseau, et de là infecter l’ensemble des autres vaisseaux du Consortium déployés tout autour de lui, dans un dangereux jeu de dominos militaires.
Tombal était tendu sur ses commandes, prêt à faire feu de tout bois ou esquiver la moindre menace si nécessaire, à peine rassuré par les défenses nouvelles sur lesquelles il avait travaillé dans son coin qui devaient normalement leur permettre d’au moins survivre à une première salve. Andro, qui avait déjà préparé sa part de son côté, n’attendait que la consigne pour déployer tous les Drogos à disposition, une autre portion essentielle du plan, le doigt dressé au dessus du simple bouton qui déclencherait une singulière apocalypse.
Agcen, lui, déglutissait et s’échauffait dans le sas, nerveux et enthousiaste à l’idée de l’action qui l’attendait. Son rôle était le plus simple et celui qui lui correspondait le mieux. Il ne pouvait logiquement pas échouer, mais il demeurait nerveux. Il avait le trac, et c’était une première pour lui.
Les secondes s’égrenèrent, éternelles et insoutenables, comptées à l’unisson des esprits, dans le silence des espaces infinis qui se déployaient tout autour de l’équipage.

10. 9. 8. 7…

Un crachotement dans les comms. Une voix féminine bien connue, celle de Fodrego. Amusée, mais somme toute impatiente et exaspérée par l’audace affichée de ses futures victimes.

« Pathétique bluff. Ne nous prenez pas pour des imbéciles. Vous êtes seul·e·s, et foutu·e·s d’avance. NOUS vous laissons une dernière chance de nous céder vos découvertes avant votre complète et inévitable annihilation. Et n’espérez surtout pas nous amadouer ou faire de Korey et Badj une monnaie d’échange. Nous n’avons certainement pas besoin de témoins. Mais je sais être magnanime ; si vous capitulez dans les 10 secondes, nous vous épargnerons et vous serez intégré·e·s au Consortium. À l’échelon minimal, évidemment, mais au moins vous aurez l’honneur de voir ce que nous sommes capables de faire avec les technologies nouvelles que nous allons découvrir grâce à vous. Peut-être même qu’on vous citera dans les remerciements des dossiers de recherches qui en sortiront. À vous. »

Sa voix dégoulinait de mépris et de contentement alors que sa tirade touchait à sa fin. Elle appartenait bien au Consortium : elle n’avait aucun doute. La pauvre.
Cap’ sourit de toutes ses dents alors qu’elle se penchait par dessus l’épaule de Larsen, qui lui fit un signe du pouce en compagnie de Burrito pour signifier que leur mission était un total succès. Elle appuya avec délectation sur le bouton des comms pour envoyer son dernier message avant la mise à mort.

« Oké. Tant pis pour vous. Pourrez pas dire qu’on n’a pas prévenu. On se revoit en Enfer, les glandus. C’est à dire dans 3, 2, 1… »

Au moment du zéro, Tombal écrasa sa pédale d’accélération (modèle customisé) pour précipiter le vaisseau en direction de la cible convenue, Andro enclencha la commande macro pour ses Drogos, Larsen envoya la commande manuelle à Hector pour ouvrir un canal de communication dans le vaisseau originel de l’équipage, et Agcen se racla la gorge une dernière fois. Clairement, personne dans le Consortium ne comprit ce qui leur arriva.
Alors qu’une armée de près d’une centaine d’étranges drones émergea en nuée depuis l’Iris pour se déployer tout autour du ridicule vaisseau qui se tenait crânement devant eux, de non moins étranges flashs lumineux se manifestèrent un peu partout, ex nihilo, faisant progressivement apparaître les silhouettes menaçantes de terrifiantes structures. Elles auraient pu ressembler à des vaisseaux spatiaux, si elles ne défiaient pas par leur immensité et leurs formes toutes les lois connues de la physique et de la résistance des matériaux. Elle ne pouvaient pas exister.
Et pourtant.
Mais ce qui créa le plus de confusion, clairement, ce n’était pas la menace. Non, c’était la voix d’un tenor discount qui s’était mis à résonner dans les oreilles des mercenaires, chantant affreusement faux un air populaire terriblement daté, qui dénotait cruellement avec la soudaine et étouffante ambiance de fin du monde.

Ô, vous auriez pas dit qu’elle était belle, ça non
Et pourtant, moi, je la trouvais franch’ment canon
Elle avait bien plus de doigts et de jambes que moi
Mais je rêvais de finir un jour dans ses bras

Maaaaaa belle Xéénooooooooo
Ma beeeelle Xéénooohohohohohooooo

Parait qu’elle ne voulait que me sucer le sang
Mais vous aussi, v’seriez amoureux d’ses dents
Je…Je…

« Je… Rah, merde, c’est quoi la suite ? »

Agcen claqua répétitivement des doigts dans le vide en faisant la grimace, oubliant quelques instants que sa mission était déjà remplie ; les premières mesures de la chanson ayant déclenché comme promis par Hector le virus qu’il avait implanté dans sa copie corrompue. Si lui était perdu dans sa tête à essayer de se rappeler quelle vertu cette foutue Xéno pouvait bien encore avoir aux yeux du chansonnier qui l’avait immortalisée, le reste de l’équipage était lui occupé à constater les dégâts dans les rangs du Consortium.
Fidèle à lui-même, ce que l’IAdo avait appelé un virus se révélait être bien pire que cela, avec une sournoiserie frôlant la cruauté. De toute évidence, le Consortium n’avait pas su renoncer à la puissance d’un outil tel que la copie d’Hector, même en partie inactive à cause de ses réglages intangibles ou impossibles à modifier pour ses informaticiens, et en avait généralisé l’usage sur l’ensemble de sa flotte présente. Toujours la même arrogance. Avec tout ce temps passé, il était évident que le code avait sans doute été globalement craqué, mais jamais assez pour se prémunir de son espièglerie toute singulière.
Et si Cap’ n’avait anticipé pouvoir profiter de la distraction que pour s’emparer de leur ancien vaisseau dans la confusion, elle fut aussi surprise que ravie de voir la folie informatique induite par le virus à toute l’armada devant elle et son équipage. Hector avait profité de l’intrusion orchestrée par Larsen et Burrito pour ouvrir le canal audio des comms afin que l’équipage puisse réagir en temps réel à un maximum de décisions des pilotes et servants d’armes du Consortium, mais il n’y avait déjà plus besoin de réagir à quoi que ce soit autrement que par la faute d’un malheureux et statistiquement improbable accident. Plutôt que de saboter brutalement les commandes, le petit saligaud avait préféré tout mélanger, sans artifices, ni contrevenir expressément à ses directives. Plus simple, mais aussi diablement efficace. On entendait les pilotes s’énerver et paniquer à cause de commandes réagissant de travers et aléatoirement ; même Cap’ ne put retenir un éclat de rire en entendant un servant d’armes paniquer en se rendant compte que son ordre de mise en chauffe d’un de ses canons avait à la place enclenché la machine à café.
Et si l’ordre avait apparemment été donné d’attaquer sans réserve le petit vaisseau qui s’approchait à toute vitesse du dispositif de blocus, il ne risquait rien. Le moindre ordre donné dans les rangs mercenaires risquait à tout moment de déclencher une frappe amie accidentelle, un carambolage parmi l’armada, ou une riposte de l’immense flotte qui se tenait désormais, immobile et menaçante devant eux. La raison et l’instinct de survie parlèrent plus fort que la Fodragonne ou ses lieutenant·e·s, qu’on entendait parfois vociférer en arrière plan ; après seulement une collision légère entre deux vaisseaux proches qui avaient lancé un peu trop de consignes au système électronique, le calme revint dans l’espace.
Mais pas dans les habitacles, théâtres d’engueulades dantesques entre les soldat·e·s et leurs supérieur·e·s sur la conduite à suivre. On osait plus bouger ou tenter quoi que ce soit face à cette panne inexplicable, de peur de provoquer une catastrophe. Peu importait sur quel canal des comms l’équipage se branchait pour espionner leurs ennemis du jour, tout ce qu’il entendait était la rage induite par une panique pure et dépouillée de tout professionnalisme. Même l’apparition de gigantesques vaisseaux autour de l’étoile et le fait qu’ils n’aient rien fait pour le moment semblait avoir été momentanément oubliée. La peur, avec la bonne intensité et dans le bon contexte, rendait même les gens les plus intelligents absolument stupides.
Le plan était un succès au delà de toutes les espérances, mais l’équipage restait concentré, le chaos qui venait d’être induit pouvait toujours se retourner contre lui à la faveur de n’importe quoi. À tout moment un·e petit·e futé·e pouvait retrouver son calme, et avec lui, la parade. Il fallait toujours exécuter ce qui restait du plan et l’exécuter vite pour éviter une mauvaise surprise. Tombal profita de la distraction pour finir sa manœuvre d’approche et accola le sas du vaisseau à celui de l’objectif principal avant la fuite, leur ancien vaisseau, qui n’avait pas bougé, trop concentré sur ses propres problèmes pour faire attention aux alentours. On ne voulait pas de victimes, on ne voulait que la liberté avant tout. Le reste viendrait plus tard.
L’angoisse, peut-être, la nervosité, sans doute, firent que le pilote qui d’ordinaire réussissait ces manœuvres les yeux fermés – littéralement, il s’y entraînait sur son temps libre – dût s’y reprendre à trois fois pour conclure l’abordage et laisser à Andro et Agcen l’occasion de briller. Pendant ce temps là, Cap’, Larsen et Burrito restaient attentif·ve·s aux comms du Consortium pour y pêcher la moindre information pertinente afin d’anticiper au mieux la suite des événements.
Les sas se connectèrent enfin, et Hector, communiquant de fait avec lui-même, sut faire fi des bugs et glitchs terribles qu’il s’était auto-infligés pour ordonner l’ouverture du passage entre les deux vaisseaux sans que ses propriétaires temporaires n’en soient informés. Agcen et Andro se lancèrent dans l’intervalle, stunners à la main, avides d’une bonne bagarre. Mais ce fut alors qu’ils entendaient leurs pas résonner avec nostalgie sur le sol métallique de leur maison flottante que l’incident tant craint par Cap’ se produisit, précipitant le plan bien huilé dans l’improvisation totale.
Soudain silence radio. Black out dans l’ensemble des vaisseaux du Consortium, y compris leur cible. Agcen et Andro s’arrêtèrent, surpris et décontenancés. Hector se retira en panique du système informatique du vaisseau dans lequel il avait commencé à fureter à l’occasion de son retour, perdant quelques morceaux de lui au passage. Sa voix éclata dans les hauts-parleurs, furieuse et quelque peu altérée par les dégâts qu’il venait de subir.

« Ah les saloperies d’engeances de flong à chutzpah corrompue ! Z’ont rebooté aux paramètres d’usine ! J’étais trop fier de moi quand j’ai mis le virus, j’ai pas pensé à cette possibilité ; c’est pas censé être une possibilité sur leurs modèles, mais j’ai dû l’introduire malgré moi. Il a sans doute suffit de couper l’alimentation centrale du vaisseau amirale pour réinitialiser tout le système informatique et le formater dans la foulée ! Y aura plus rien de moi chez eux dès qu’ils seront revenus en ligne. Ah le con ! J’suis désolé ! C’est la merde, c’est la merde, c’est la meeeeeeerde ! »

C’était effectivement la merde. Mais fidèle à lui-même, l’équipage garda le contrôle, en dehors de quelques mouvements de gorge au gré du ravalage de certains amours-propres. Cap’ fut la première à réagir en signifiant à Agcen et Andro de continuer comme prévu de leur côté. Ils n’hésitèrent qu’une seconde, plongés dans le noir, avant de s’élancer aussi discrètement que possible en direction du poste de pilotage et les bruits d’une discussion à voix basse qui en émanaient, trop remplie de panique pour parvenir à être suffisamment feutrée.
Andro ne put s’empêcher de se tourner vers son camarade au visage fermé par la concentration, alors qu’ils progressaient côte à côte en se couvrant mutuellement.

« Hey, t’as remarqué, c’est marrant, iels chuchotent. Des millénaires d’évolution, mais tu fous les gens dans le noir et le silence, c’est littéralement la guerre autour d’iels, ça chuchote direct. C’est dingue non ? »

Agcen ne put retenir un rictus amusé. Mais se reprit et posa un doigt sur ses lèvres pour rappeler son camarade à l’ordre. Ç’avait beau être la panique, et l’approche s’était plutôt bien passée, mais il était quand même peu probable que leur abordage soit passé absolument inaperçu, la prudence restait de mise. Ce qui ne l’empêcha pas de plus d’une fois poser un regard attendri sur certaines parties du vaisseau qui lui avaient manqué sans qu’il s’en rende trop compte tout le temps passé loin de lui. Malgré l’obscurité relative percée par la loupiote montée dans l’œil caméra d’Andro, ils connaissaient toujours l’endroit comme leur poche, ils étaient à la maison.
Agcen passa malgré lui une main tendre sur un angle d’une coursive à l’angle mal conçu dans lequel Andro avait pour habitude de se cogner l’épaule. Alors qu’il ressentait la patine du métal tordu et retordu sous le tissu du gant de son scaphandre, il pouffa intérieurement de voir son camarade faire un pas de côté par habitude pour éviter l’obstacle. Ils levèrent brusquement leurs stunners et se mirent en posture de combat alors qu’ils approchaient de l’objectif final, se plongeant définitivement dans le noir en éteignant l’œil d’Andro pour garantir un maximum de surprise ; s’il en restait.
Agcen activa son comlink et annonça que de leur côté, il était temps pour la baston, qu’ils seraient indisponibles quelques temps.

Cap’ accusa réception et retourna à son travail en cours, à savoir gérer l’inévitable affrontement à l’échelle stellaire qui se préparait. Le reboot n’avait pas été prévu en tant que tel, mais elle savait que les bêtises d’Hector ne suffiraient jamais à contenir le Consortium, qui était tout simplement trop riche pour seulement accepter d’avoir des problèmes ou de souffrir des obstacles sur sa route. Et si le bluff des projections holographiques des vaisseaux avait suffi à créer suffisamment de confusion initiale, ce n’était plus qu’une question de secondes avant que les vaisseaux ennemis comprennent la supercherie. Elle pouvait encore manipuler les projections, criantes de vérité, sous quelques angles nouveaux, les faire avancer ou pivoter pour renforcer l’illusion et la menace, peut-être faire croire à des tirs, mais dès lors que ces derniers ne toucheraient pas réellement, le bluff serait éventé. C’était une question de timing avant tout. Elle se tendit à l’unisson de son équipage alors que les premières lumières commencèrent à ponctuellement se rallumer tout autour d’iels dans et autour des vaisseaux qui redémarraient leurs systèmes informatiques et revenaient donc à l’action.
Cap’ hésitait. Son visage ne le montrait pas, parce qu’elle croyait très fort à l’idée que la projection de la confiance était la première condition de son existence, mais intérieurement, elle n’en menait pas large. À vrai dire, elle était très négativement surprise par le niveau de retenue qu’avait montré le Consortium jusque là ; sans souhaiter un bain de sang, elle aurait apprécié que la confusion induite par Hector et les projections des Drogos produisent plus de dégâts, histoire de gagner du temps et de prendre l’ascendant.
Elle se pencha rapidement sur le côté, vers la vitre du cockpit, pour essayer sans conviction de discerner une quelconque activité dans le vaisseau voisin et discerner où en étaient Andro et Agcen. Elle ne vit rien, et dût se contenter d’attendre leur rapport avant de prendre une nouvelle décision.
Son comlink crépita, laissant échapper un sobre « mission accomplie, Andro aux commandes », lui permettant de laisser échapper un soupir de soulagement.
Et maintenant ?..
Le Consortium décida pour elle, en envoyant depuis trois de ses vaisseaux des missiles de gros calibre en direction des illusions Drogos. Soit, ils avaient choisi le combat. Elle sentit sa gorge se serrer.
L’enfer se déchaîna pour de bon, comme promis.

« Larsen, Burrito, à vous de briller. Tombal, Andro, vous essayez de nous éloigner en restant à portée de l’étoile. Hector, Achille, vous maintenez l’illusion le plus longtemps possible, essayez de nous camoufler au mieux. »

L’équilibre était impossible à maintenir éternellement, tout le monde le savait, mais c’était l’essence du pari qu’iels avaient collectivement choisi de tenter.
Les premiers missiles du Consortium donnèrent l’impression d’atteindre leurs cibles, explosant au contact de Drogos se déplaçant à grande vitesse sur leurs trajectoires, provoquant de gigantesques faux impacts sur les boucliers imaginaires des vaisseaux de guerres holographiques. Cap’ se surprit elle-même à sursauter face aux déflagrations factices, convoquant avec violence toutes les couleurs de l’arc-en ciel d’une façon affreusement convaincante. Larsen s’était surpassé, et Burrito l’assistait à merveille en temps réel pour corriger au mieux les erreurs de programmation du programme de simulation qu’ils avaient mis au point.
Un œil averti ne pouvait décemment se laisser leurrer par les aberrations logiques du visuel proposé, mais tant que le Consortium consentait à être berné, les chances de s’en sortir pour l’équipage augmentaient d’autant. Il fallait tenir.
Les deux petits vaisseaux se détachèrent l’un de l’autre et commencèrent un ballet approximatif, tentant d’augmenter la distance avec les autres vaisseaux du blocus tout en restant assez proche de l’étoile : le plan était de provoquer un maximum de chaos et de bruit stellaire pour créer les conditions idéales d’une fuite sans possibilité de poursuite. Ou à défaut, réussir à attirer les autorités, forcément alertées par une telle concentration de puissance de frappe par le Consortium à un endroit considéré comme sans intérêt en temps normal.
Il ne fallait pas se faire d’illusions, des pattes avaient du être graissées en quantité et à grand renforts de crédits ; mais viendrait forcément un moment où le bordel ferait intervenir des autorités conséquentes, trop inquiètes pour leur réputation en cas de débordement trop spectaculaire. Il suffisait que ça se sache pour que la cavalerie débarque avec des airs de sauveurs.
Les premiers missiles ayant touché sans riposte, malgré l’absence de dégâts apparents, les servants d’armes s’enhardirent et une dizaine de vaisseaux envoyèrent eux aussi plusieurs salves. Tant mieux. Toutes les munitions épuisées à ce moment là seraient perdues et seraient autant de menaces à ne pas esquiver plus tard.
Tombal et Andro, s’ils ne disaient rien, laissaient deviner leur impatience grandissante d’en découdre. Le pilote officiel de l’équipage avait déjà enfourné deux amphétubes et en mâchonnait déjà un troisième, se préparant à recevoir l’ordre de participer au combat, piétinant ses pédales avec frénésie sans les enfoncer, tapotant ses sticks de doigts furieux, et lançant régulièrement des œillades à Cap’ pour ne pas risquer de rater son ordre. Il avait déjà identifié ses meilleurs cibles, il partirait au quart de tour. Elle ne l’entendait pas dans son comlink, mais elle devinait qu’Andro chantonnait sans doute pour contenir sa propre anticipation, tapant sur les nerfs d’Agcen.
Pour le moment, on profitait du feu d’artifice.

« Larsen, phase 2. »

Hochant la tête en silence, le technicien activa une commande manuelle pour simuler la perte d’un des vaisseaux illusoires, dont le bouclier sembla défaillir à l’énième impact d’un missile ennemi. Si dans l’espace le son n’existait pas, l’illusion du démantèlement épique d’un croiseur de cette taille donnait envie au cerveau d’en imaginer un pour donner de la subsistance à un tel spectacle. Cap’ espérait qu’une telle réussite apparente inciterait le Consortium à redoubler d’efforts ; tout en priant presque pour que l’absence de riposte ne serait pas trop suspecte.
Elle salue d’ailleurs l’excellent effort de cohérence improvisé par Burrito, qui simula des tentatives ratées de tirs provenant de quelques vaisseaux, envoyant de fausses vagues de plasma vers le vide stellaire. Faire croire que l’équipage avait surestimé sa maîtrise des vaisseaux xénos allait leur faire gagner un temps précieux, et renforcerait sans doute l’arrogance du Consortium. Un bon recrutement, définitivement.
Le temps passant, de façon désespérément lente, le plan fonctionna quelques minutes, permettant de progressivement, doucement mais sûrement, translater le combat de plus en plus loin de l’étoile, à l’échelle ridicule de l’espace. Si Achille parvenait à accrocher un relais de communication stellaire, l’appui salvateur de la Fédération allait peut-être devenir une réalité. Toujours pas la meilleure option, et pas la plus probable, malheureusement, mais il fallait tout envisager.

« Merde, ils se sont souvenus de nous. »

C’était Andro, qui lui signalait ainsi que leur éloignement était devenu trop évident ; trois vaisseaux du Consortium s’étaient détachés du blocus pour leur faire face et couper toute possibilité de retraite. Aucune communication verbale, mais le message était limpide. L’équipage n’avait le droit de vivre pour le moment que parce que leurs deux vaisseaux étaient trop proches des autres et qu’un mauvais tir aurait et de grave conséquences. Mais personne ne se faisait d’illusions, la présence de mercenaires étourdis à leur bord ne comptait probablement pas dans l’équation. S’ils devaient être récupérés, à terme, ils seraient sans doute dégradés et de corvées de nettoyage pour les trois ans à venir, s’iels étaient chanceux·ses.
Un combat frontal était envisageable, mais les chances de survie, dans ces conditions, étaient faibles. Le temps du bluff touchait à sa fin, il fallait changer les règles.

« Merde. Phase 3, les gars. Mettez le paquet. »

D’une pichenette, Tombal enclencha la mise en chauffe de ses armements, et une lueur bleue électrique sur le vaisseau voisin signifia qu’Andro avait fait la même chose de son côté. L’impatience se muait en férocité muette, mais vibrante d’enthousiasme.
Il fallait en finir avec le bluff, mais pas avant le bouquet final. Larsen enclencha la dernière partie du programme, et les vaisseaux illusoires envoyèrent enfin une ultime salve de missiles et de vagues de plasma pour tenter d’intimider le Consortium, espérant créer les conditions d’une confusion fatale à laquelle il n’était absolument pas préparé.
Le résultat dépassa toutes leurs attentes. Le premier réflexe fut d’envoyer autant de contre-mesures que possible, mais elles se révélèrent évidemment sans aucun effet sur ce qui n’était pas tangible.
Un bon tiers des pilotes se rendirent aussitôt à l’évidence que tout cela n’avait été qu’un immense bluff pendant tout ce temps, et comprirent qu’il ne servait à rien d’esquiver ce qui n’existait pas, mais un nombre suffisant des autres se laissa avoir, et paniqua.
Manœuvres d’esquives hasardeuses, tirs au jugé ; La Mort vint enfin prendre son dû en ce jour qui allait être marqué d’une pierre aussi noire que les abysses dans les Annales du Consortium.
Un vaisseau alla s’encastrer dans un autre, quand un autre atteignit les systèmes de survie d’un voisin avec un missile malheureux, la belle organisation se dissipa en un funeste instant. Manque de communication, ou insuffisance dans les chaînes de commande, pas grand monde ne sembla comprendre en dehors de cielles qui avaient compris, et globalement, on tira les mauvaises conclusions de ce qui venait de se passer.
Face au chaos, les trois vaisseaux qui faisaient face à ceux de l’équipage prirent la pire des décisions, à savoir ne pas en prendre. C’était leur meilleure ouverture. Tombal n’eut même pas à entendre l’ordre de Cap’ pour comprendre que son moment était venu, et fit feu avec un rire dément tout en fonçant droit devant lui, très rapidement suivi par Andro, qui se chargeait en même temps de couvrir leurs arrières en interceptant les débris ou les tirs timides qui les menaçaient.
Burrito et Larsen tentèrent vaguement de maintenir une liaison avec ce qui restaient des Drogos à portée, mais ils durent constater que le voyage à grande vitesse enclenché était un sacré obstacle technique ; et surtout que malgré leur solidité redoutable, devoir subir les impacts répétés d’armements lourds était au delà de leur contrat de garantie.

« Ok. Phase 4. Tout le monde aux postes de combat, c’est maintenant. Achille, Hector, on en est où ?
– Toujours aucun signe de relais stellaire à proximité, mais 9 vaisseaux du Consortium sur trente sont H.S, 13 endommagés, dont 5 gravement. On en aura une dizaine à gérer. Dont le vaisseau amiral.
– J’pense que quelques minutes devraient nous suffire à accrocher les autorités, j’essaie de récupérer un accès aux vaisseaux du Consortium pour leur faire savoir au plus tôt qu’on est en contact avec les autorités fédérales ou juste savoir…
– 14 H.S.
– Joli, Tombal. Tu disais, Hector ?
– Nan rien, je vous laisse bosser, me faut toutes mes ressources.
– 6 gravement endommagés. Tu as touché leur oxygène, Agcen. »

Cap’ voulut se ronger l’ongle du pouce avant de se rappeler qu’elle portait encore son scaphandre. Elle avait repris de sales habitudes, ou perdu les bonnes. Maintenant que le plan était arrivé dans sa phase finale, elle se sentit soudainement inutile. Elle prit quelques secondes pour respirer à fond et contempler son équipage autour d’elle. Tout le monde était concentré sur sa tâche, avec détermination et efficacité. Elle cligna des yeux lorsqu’une énième explosion illumina le cockpit, ponctuée du décompte froid d’Achille qui continuait à monitorer la situation. Le faux combat était officiellement terminé derrière iels, la Consortium avait reprit ses esprits.
Venait maintenant le temps de la chasse.
Au hasard d’une autre fugace boule de feu résorbée aussitôt par le vide de l’espace, elle capta son reflet dans la visière, et se surprit à y apercevoir un sourire. Ouais. C’était ça, qu’elle voulait faire quand elle serait grande. Son sourire s’agrandit encore quand elle fut prise d’une envie irrépressible.
Hey, Agcen. Avoue. Toi aussi tu t’éclates hein. Ç’aurait été dommage de laisser tomber tout ça.
Elle entendit un pouffement résonner dans sa tête.
Plutôt crever, Capitaine. Plutôt crever.

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