
Camouflage – Stan Ridgway (extrait de l’album The Big Heat)
Le poids que portait Le Wankh sur ses épaules n’était pas négligeable. C’est que j’insiste quand même pas mal à essayer de réhabiliter Jack Vance dans ma bibliothèque personnelle depuis maintenant quelques ouvrages ; pas tant pour me mettre dans le rang, mais juste pour tenter de réellement comprendre pourquoi cet auteur est si cher au cœur de tant de lecteurices.
À cet égard, je dois d’abord exprimer une satisfaction toute personnelle ; je crois que ma façon d’aborder mes lectures à l’aune des intentions de leurs auteurices me permet d’en appréhender plus facilement et moins égoïstement – oserais-je – leurs ambitions, et donc leurs qualités propres. Forcément, régulièrement, ça ne compense en rien, certaines rencontres ne sont simplement pas possibles. Incompatibilités d’humeur, mauvais timings ou simples clashs de valeurs, j’en passe et des pires.
Or, dans le cas précis de Jack Vance, et surtout après mon épiphanie lors de la lecture des Maîtres des Dragons comme la plaisante surprise du Chasch magnifiée par ces perspectives nouvelles sur son travail ; je crois que m’être imprégné de son travail me le rend désormais beaucoup plus accessible et compréhensible selon des termes nouveaux. Je ne peux toujours pas dire qu’il soit un auteur de cœur pour moi, loin s’en faut, mais pour autant, mon respect ne cesse de grandir, et avec lui une forme d’appréciation inédite. Comprenant mieux la démarche, j’en identifie mieux les jalons et les marques de réussites.
Tout ça pour dire que Le Wankh était une excellente surprise, et je vais évidemment vous expliquer pourquoi.
Nous reprenons évidemment à la fin du tome précédent, et s’il y a une qualité majeure à saluer d’emblée, c’est bien la constance et la cohérence d’ensemble. Jack Vance avait un plan, et il s’y tient ; à partir du moment où on intègre qu’Adam Reith n’est là que pour nous servir de guide touristique malgré lui, Tschaï prend je pense une nouvelle dimension et beaucoup plus de saveur (dédicace à l’amicale des amateurices des zeugmes). En tout cas, personnellement, j’ai pris nettement plus de plaisir en ayant cette idée en tête : l’objectif de Vance, au delà de nous proposer une aventure palpitante, c’est surtout de nous confronter à un monde profondément autre, que ce soit au niveau du paysage, des cultures ou des idées et traditions qui en découlent. Et force est de reconnaître qu’il fait ça très bien, le bougre, quand même. SI je reste définitivement et absolument hermétique aux descriptions de paysages dont je n’ai déjà pas grand chose à faire dans la vraie vie ; l’altérité culturelle, par contre, ça, ça me parle. Et au travers des interactions d’Adam Reith avec ses coreligionnaires d’infortune, on la sent vraiment bien, que ce soit dans l’expositions de traditions ou de concepts qui pourraient nous paraître complètement décalé·e·s mais qui font complètement sens dans un paradigme aussi radicalement différent du nôtre.
Et dans cette optique, je me dois de saluer humblement le progrès indéniable et pour tout dire assez spectaculaire de Jack Vance sur ses personnages. Si Adam Reith reste assez monolithique et un peu trop unidimensionnel pour vraiment m’intéresser, la galerie de personnages qui gravite autour de lui, elle, a su me séduire. D’abord parce que certaines interactions en deviennent assez drôles, narrativement et conceptuellement intéressantes, mais surtout parce qu’enfin, j’ai senti de la vraie vie là dedans. Entre certains antagonistes qu’on se prend un réel plaisir à détester et subséquemment voir échouer (spoiler, oui, mais c’est un T2/4, faut pas rêver), ou certains protagonistes qui font enfin preuve d’une certaine complexité inédite, j’ai eu réellement envie de savoir ce qui allait se passer ; le meilleur moyen de s’oublier un peu et de se laisser surprendre.
Ce qui m’amène à un autre aspect positif de la surprise offerte par Le Wankh ; je me suis fait avoir. J’avais anticipé un parcours classique pour Adam Reith et sa bande, et j’avais tort. Alors certes, dramaturgiquement, Jack Vance ne réinvente pas la roue, mais dans ce qui apparaissait jusque là comme un parcours fléché à mes yeux, subir quelques méandres malins et me faire ponctuellement avoir – bien que toujours dans cette optique touristique – eh bah ça fait plaisir, tout simplement. Au moins, il y a de vrais rebondissements et on sait qu’on ne peut pas vraiment se permettre de rester trop sur ses acquis, que la vigilance est de mise. J’étais rentré dans ce récit prêt à formuler les mêmes compliments et les mêmes reproches, et je me vois volontiers forcé de changer mon fusil d’épaule à pas mal d’égards, c’est cool. Alors ça reste une aventure bien burnée entre mecs, évidemment, les femmes font globalement office de plantes en pot et d’artifices d’exposition, mais pour l’époque et avec le recul de ce que je sais de Vance, je ne pouvais pas vraiment m’attendre à mieux. Dans le paradigme de la publication de ces histoires et avec la grille d’évaluation qui va avec, ça reste fort honorable à mes yeux, globalement.
Alors oui, voilà, j’avoue, c’était une excellente surprise. Vraiment. J’ai enfin, réellement, pris du plaisir à lire du Jack Vance. Pour l’essentiel je dirais que c’est à mettre au crédit du volume en lui-même, parce qu’il est, dans ma grille d’évaluation, objectivement meilleur, plus riche et mieux construit que son prédécesseur. Mais aussi, je crois, parce que comprenant mieux d’où l’auteur voulait en venir, j’ai pu mieux appréhender les qualités et les défauts du roman à l’aune de ses ambitions. S’ajoute alors au plaisir seul de la lecture la satisfaction purement intellectuelle de sentir ma démarche de lecteur/chroniqueur/analyste validée ; moi qui voudrais pouvoir tout aimer, je sais désormais qu’avec suffisamment de travail partagé entre iels et moi-même, les ouvrages et leurs auteurices hors de ma zone de confort pourront à l’avenir bénéficier de ma part d’une réelle et réfléchie mansuétude, dépouillée de toute mauvaise foi ou de flagornerie de mauvais aloi.
Et je sais pas pour vous, mais moi je trouve ça chouette.
Comme je trouve ça chouette d’avoir pu le faire avec un ouvrage qui semble mettre tant de gens d’accord.
Rendez-vous avec Le Dirdir dans pas trop longtemps, donc. Bonne perspective.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
Marrant, j’ai dû lire ça il y a vingt ans, et dans la même collection avec la même couv, et tout ce qui m’en restait c’était « couv zarb, du Caza? » et effectivement « aventure datée de mecs bien burnés »
Comme quoi, il tient dans la durée, ce bougre de Vance.
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