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Salammbô, Flaubert

Strangers – Cannons (extrait de l’album Fever Dream)

Comme je l’avais dit à l’occasion de ma chronique à propos d’Au bonheur des jeux, plus j’avance dans mes découvertes et redécouvertes littéraires, plus j’affine mes armes critiques comme la définition de mes goûts, plus j’ai envie de tenter ou retenter des choses. Donner des secondes chances, ou simplement faire preuve d’une plus grande curiosité et surtout de plus de bienveillance, en passant.
D’où la lecture du jour, qui a de quoi surprendre, j’en conviens, même en prenant compte les timides efforts que j’ai pu fournir par le passé lorsqu’il s’agissait de sortir de ma zone de confort. Mais voilà, à force de discussions çà et là, d’éléments nouveaux à intégrer à mon prisme de lecture, ce genre de petites choses ; je me suis dit qu’il était bien temps de relire du Flaubert, pour voir ce que ça donne. (Bon, pas Mme Bovary, je me respecte quand même, y a un trauma à évacuer, d’abord.)
Bref, nous y voilà donc, fort logiquement. Pour une chronique que je devine complexe à rédiger, mon sentiment global sur Salammbô étant assez partagé. Je vous explique.

Après la première guerre punique, Carthage est en grande difficulté, et surtout ruinée, l’empêchant de pouvoir payer la gigantesque armée de Mercenaires qu’elle avait embauchée. La révolte gronde d’abord, puis éclate : une nouvelle guerre se déclare, directement sur le territoire de la ville et tout autour. De ce désordre naissent des personnalités fortes, de part et d’autre du conflit, des rancœurs et des passions nouvelles. C’est ainsi que Mâtho, rebelle en pleine ascension, s’éprend de Salammbô, la fille d’Hamilcar, Suffète des Carthaginois. Les destins personnels se mêlent alors au destin plus large des cités alentours et des forces en présences.

Bon, alors. Même si le pauvre a sans doute souffert aux mains de ses gardiens et qu’il devra peut-être à l’avenir traverser les Alpes en plein hiver, il va falloir parler de l’éléphant dans la pièce. (Je suis très drôle.) L’éléphant en question étant le titre de ce roman, ainsi que le personnage ainsi désigné comme central. J’aurais des choses positives – et sans doute plus intéressantes – à dire à propos de ce roman, je vous jure, mais il va d’abord falloir évacuer ma frustration à cet égard : Salammbô ne sert à rien. Et elle n’est responsable de rien, la pauvre. À vrai dire, j’aurais sans doute aimé avoir bien plus de choses à dire à son égard ; mais son auteur ne m’en laisse pas le moindre loisir. Très sincèrement, elle aurait même pu ne pas être présente dans ce récit du tout, l’essentiel de son déroulé n’en aurait pas été bouleversé, me faisant fortement peiner à seulement comprendre pourquoi Flaubert a décidé de titrer son roman ainsi. Peut-être que je suis encore un peu naïf, mais je me disais que ce titre promettait censément une héroïne pour aller avec. Or, les événements dépeints par Flaubert tendent quand même plus à faire de Salammbô un trophée dont il faudrait se saisir qu’une réelle protagoniste du récit (sans parler de l’évidente mais prévisible misogynie qui empoisse le récit dès qu’elle apparaît).
Pas qu’il n’y ait pas l’idée d’enjeux gravitant autour de la princesse Carthaginoise, et sur lesquels elle aurait prise, mais ils font bien pâle figure face au reste du roman, épique fresque historique tâchant de raconter tous les épisodes de cette étrange guerre entre une ville et ses Mercenaires trahis, entre ruses, accords secrets, trahisons et exactions sordides. La relation entre Mâtho et Salammbô est absolument anecdotique, bornée à trois rencontres à peine, limitées à chaque fois à quelques échanges lacunaires et bien moins soignés que le reste de ce que Flaubert tente de raconter. Au contraire, l’auteur s’emploie à nous décrire par le menu tous ce qui ne la concerne pas directement. Tous les repas, toutes les ambiances, toutes les négociations, toutes les manœuvres militaires, tous les costumes, les affrontements, tout, tout, tout.

Et pas que ça m’ait tant dérangé que ça, en vrai de vrai. Déjà parce que Flaubert avait quand même un certain talent pour aligner les mots de façon élégante, j’avoue, mais aussi et surtout parce que je pense avoir assez vite capté ses ambitions dans ce roman. Tenez vous bien pour une phrase exceptionnelle : je pense que Jack Vance m’a aidé à mieux apprécier le travail de Flaubert. J’ai cette phrase en tête depuis le troisième chapitre du roman, et je suis exceptionnellement heureux d’avoir pu l’intégrer à cette chronique. Bref, oui ; je pense sincèrement que les démarches de ces deux auteurs sont assez proches – en tout cas dans mon prisme de lecture – et qu’avoir appris à mieux cerner le premier m’a sauvé de l’ennui en lisant le second.
Dans le sens où je crois que Flaubert, avec Salammbô, ne cherchait absolument pas à faire une étude de caractères ou un roman de mœurs, en tout cas pas essentiellement, et pas autrement que par ricochet. Non, à l’instar de Vance avec Tschaï, en tout cas à mes yeux, il s’agit de créer un choc de dépaysement, d’écrire une sorte de guide touristique décalé dans l’espace et le temps. Alors forcément, époques et normes littéraires différentes obligent, on ne se retrouve pas avec le même genre de décalage ; mais il n’empêche que je trouve des parallèles entre les deux.
Dans les deux cas, on a une certaine tendance à la contemplation, à la description exhaustive, qu’elle fut des ambiances et des atmosphères comme des modes de fonctionnement économiques et politiques. Comme on a droit à des personnages assez unidimensionnels, servant l’intrigue plus qu’eux-mêmes, se définissant avant tout par leurs actions successives plutôt que par des motivations claires et explicites : l’introspection est rare. On ne raconte pas tant une histoire qu’on peint des tableaux, mis bout à bout, séquence après séquence, épisode après épisode ; on frappe les esprits avec les images ainsi dépeintes, et on ne se préoccupe que peu des transitions. Ce n’est pas un mal, c’est juste une certaine façon de faire ; l’essentiel c’est de comprendre la démarche comme l’intention suffisamment tôt pour se mettre dans l’état d’esprit adéquat afin de profiter au mieux du voyage.

Même si, quand même, je ne peux pas nier non plus, que l’expérience s’est détériorée au fur et à mesure de ma lecture. Si j’ai au départ et pendant au moins la moitié de cette dernière, plutôt apprécié ce que j’avais sous les yeux, appréciant la patiente mise en place des enjeux comme la délicate atmosphère sensorielle de Flaubert, de même que je saluais le niveau de recherche et de précision historique ; il est quand même venu un moment où je me demandais où tout cela était censé amener. Face à la démultiplication des anecdotes, des évocations du panthéon Carthaginois, un objet magique, des légendes et des noms compliqués pour aller avec, entre autres codes évidents, j’ai certes pu m’amuser quelques temps de l’idée de parler de ce roman comme de proto-fantasy, aussi historique qu’elle fut, étant données les libertés que Flaubert prend avec la matière qu’il manipule, mais mon audace comme mon mauvais esprit ont leurs limites. (Imaginez, parler de Salammbô comme « du Guy Gavriel Kay, mais en moins bien ». On aurait ri. J’aurais ri.)
Non, je préfère simplement constater que le roman a les siennes, quand même, de limites, à mes yeux. J’ai bien aimé ma lecture, pour une bonne partie, lui reconnaissant une certaine qualité fascinatoire, effaçant bien souvent un potentiel et compréhensible ennui par la promesse perpétuelle d’événements venant récompenser ma patience comme ma concentration. Je devinais une audace à venir à chaque fin de chapitre, quelque chose qui aurait pu me faire dire qu’effectivement, pour l’époque, il y avait là quelque chose qui méritait l’engouement, un engouement qui aurait traversé les âges avec mérite et logique. Et puis… pas vraiment. Sur la fin, j’avais un peu lâché l’affaire, j’avoue. Pas que certains événements ne fussent pas disruptifs, quand même ; j’admets sans mal que certaines pudibonderies ont du être heurtées par les choix opérés par Flaubert, il y a là une vraie audace à reconnaître, simplement affadie par la distance des siècles.
Et puis la fin est vraiment pas terrible, aussi. Trop abrupte, manque de chair. (Z’avez vu ce que j’ai fait là ? Malin hein.)

Alors, voilà, j’ai lu du Flaubert, jusqu’au bout, enfin. Et je suis vraiment content, en vrai de vrai. Je peux pas dire que le bouquin m’ait renversé, forcément, il y a comme une incompatibilité d’humeurs assez basique et sans doute insurmontable, mais je suis satisfait de constater qu’effectivement, en ayant appris d’autres ouvrages, je peux bel et bien en découvrir d’autres avec un regard neuf et plus ouvert. C’est une indéniable réussite, et un criant symbole de victoire.
D’autant plus que dans ce roman, j’ai trouvé pas mal de choses qui vont pouvoir m’accompagner dans les années à venir. Par exemple, je pourrais dire à des gens qui disent ne pas aimer la fantasy mais adorer Flaubert qu’en fait ils aiment probablement un peu ça, pour peu que je leur trouve quelque chose qui ressemble à Salammbô. C’est pas rien, et ce n’est que l’amusante part émergée de l’iceberg, celle que je veux consciemment retenir ; en attendant que mon inconscient bosse sur la question.
Toujours est-il que mon envie de continuer à vraiment explorer les possibles de la littérature n’a pas diminué d’un iota. Et ça c’est quand même cool. Je me demande qui va y passer, tiens.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

6 comments on “Salammbô, Flaubert

  1. Voilà un retour qui tombe bien ! J’ai récemment eu dans l’idée de découvrir Flaubert, mais exit « Madame Bovary » – j’ai tenté et retenté, impossible. Alors, suite à quelques conseils, j’ai décidé de me tourner vers « Salammbô ». Cette critique, plus nuancée que ce que j’ai récemment pu entendre, va être salvatrice pour ma lecture, il me semble, car j’aurai ainsi moins d’attente vis à vis de l’héroïne (qui n’en est donc pas une). Merci !

    Aimé par 1 personne

    1. Laird Fumble dit :

      Avec plaisir, ravi de pouvoir être utile ! =)
      Bonne lecture, je l’espère.

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  2. Yuyine dit :

    Chronique hyper intéressante. J’avais tenté Flaubert il y a quelques années mais n’avais pas poursuivi l’effort. Peut-être qu’un jour j’aurai la même curiosité qui me filera le courage de retenter l’expérience. Pas certaine. Par contre, je me relirai bien du Balzac ou du Gautier avec mon oeil d’adulte lectrice de SFFF…

    Aimé par 1 personne

    1. Laird Fumble dit :

      Merci ! =)
      J’ai aussi genre La peau de chagrin dans le collimateur, ou quelque chose de similaire ; je trouve ça très amusant, finalement, de voir à quel point l’Imaginaire se niche partout.
      Après ouais, je conseillerais pas cette lecture-là à tout le monde, ça reste singulier.

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  3. Flaubert reste mon grand traumatisme de lectrice adolescente : Madame Bovary m’était tombée deux fois des mains à une époque où j’avais du mal à accepter un abandon et, si je suis venue à bout de Salaambô, ce ne fut qu’avec énormément de peine. Flaubert reste donc un auteur classique qui me rebute plus qu’aucun autre !

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