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Les Maîtres Enlumineurs T1, Robert Jackson Bennett

Figure 8 – Paramore (extrait de l’album This Is Why)

Le problème, quand on a lu et qu’on lit beaucoup de livres, c’est qu’on développe, à force, une forme d’accoutumance. On identifie des tropes, des archétypes, des structures, tout un tas de choses qu’on apprend à reconnaître, à comprendre, voire à anticiper. Alors je dis « problème », c’est sans doute une exagération ; il m’arrive régulièrement de plutôt me féliciter de ma capacité à appréhender les histoires que je lis d’une manière clinique, ne serait-ce que parce que ça me permet d’apprécier mes lectures à une échelle différente : au delà du « simple divertissement ». J’ai fait le deuil de mes émotions depuis longtemps, en tout cas d’une manière régulière, j’apprends à trouver mon plaisir ailleurs.
Demeure quand même que cette façon analytique de lire, quand bien même elle serait essentiellement involontaire, me coûte sans même pas mal de vrais bons moments de lecture. Et j’ai bien conscience de me répéter, encore une fois, en disant ça pour la je-ne-sais-combientième-fois. Les échos dont j’avais conscience pour ce premier tome des Maîtres Enlumineurs me laissaient complètement croire que ce bouquin était fait pour moi, d’autant plus avec l’appui de l’excellent Vigilance lu l’année dernière.
Et pourtant, en dépit de beaucoup de qualités et d’une quasi absence de défauts criants, je dois dire aujourd’hui que ce bouquin m’a laissé, globalement, cruellement indifférent. Mais pour une fois, au moins, je crois que je sais pourquoi ; et je vais me donner un peu de mal pour vous expliquer.
Malheureux en lecture, heureux en chronique ?

À Tevanne, la loi est dictée par les grandes Maisons Marchandes, car elles ont la main sur les secrets derrière l’opulence de la cité : l’enluminure. Cette étrange magie, elle est héritée des anciens Hiérophantes Occidentaux, des quelques morceaux de leur savoir retrouvés après leur disparition dans une guerre dont on ignore l’essentiel, et tout tourne autour d’elles et de ceux qui savent la pratiquer. Sancia, elle, vit à la marge de cette société, profitant de son don unique lui permettant de connaître la vie des objets qu’elle touche, en tant que voleuse. Sauf que son don la rend douée, très douée ; alors qu’elle se livre au plus gros coup de sa vie, elle rentre en possession d’un objet enluminé extrêmement puissant. Si puissant, en fait, qu’il pourrait bouleverser les équilibres de toute la ville, sinon plus.

J’étais enthousiaste, à l’idée de lire ce roman, je l’ai déjà dit, et j’insiste. Parce que si j’ai quelques faibles, en Imaginaire, les systèmes de magie, ça en fait clairement partie. J’aime les systèmes de magie; j’aime leurs logiques internes, leur façon de parfois définir un monde tout entier autour d’eux, de créer un paradigme singulier faisant à lui tout seul office de décalage à l’échelle de l’univers et de la diégèse. Et de ce point de vue là, rien à dire, Robert Jackson Bennett fait le taff, et pas qu’un peu. Son système d’enluminure, il a de la gueule et de la suite dans les idées, clairement ; d’autant qu’il n’est pas dénué d’un bout de réflexion sur les logiques de pouvoir inhérentes à un monde où la technologie et la magie sont si intimement liées. Les gens capables de gérer l’enluminure à la plus grande échelle, en la maîtrisant ou en employant ceux qui la font, sont les gens qui dominent le système qui en dépend. C’est logique, la démonstration est bonne, rien à dire.
Sauf que comme vous le savez peut-être, je suis un lecteur aussi péniblement politisé que parfois simplement tatillon pour pas grand chose : et ce roman m’a un peu agacé. D’abord sur la dimension politique, puisque c’est celle que j’évoque en premier : je trouve dommage, finalement, de bâtir un système de magie aussi poussé et ambitieux, pour ne l’inscrire que dans un carcan capitaliste remarquablement ordinaire. Comme je trouve dommage de parler de révolution pour ne finalement que lutter pour un statu quo marginalement modifié. En encore.
Alors qu’on soit clair, malgré toutes les inventions conceptuelles possibles, et malgré tout le talent que je reconnais à RJB comme à tant d’autres, on n’écrit que ce qu’on connaît : je ne peux pas réellement en vouloir à l’auteur d’avoir inscrit son invention dans un paradigme évocateur de nos propres atermoiements politico-économiques. Après tout, voir un système de magie comme un reflet d’une logique purement financière, ça fait complètement sens; de la même manière que faire de Tevanne un reflet plus ou moins travaillé de la Florence des Médicis – à peu de choses près, hein, je suis pas historien ni féru de la matière – ne me paraît pas du tout bête.

N’empêche qu’en voyant les efforts débordants de Robert Jackson Bennett pour développer son concept initial à fond, quitte à parfois, précisément, le faire déborder un peu sur son récit – je pense à quelques info-dumps un peu indigestes – je n’arrive pas à comprendre son manque d’efforts pour justement sortir d’habitudes narratives trop familières. C’est rigolo, parce que j’en parlais précisément sur Twitter il y a quelques temps – peut-être que l’idée parasite justement mon esprit avec un timing dommageable – et là où l’auteur pousse très habilement le potard du dépaysement sur ses purs concepts, à raison ; je trouve qu’il ne les pousse pas assez du tout sur les mécaniques à l’œuvre dans son intrigue. Peut-être est-ce, pour le coup, à mettre sur le compte de mon goût immodéré pour les relations interpersonnelles complexes et profondes, les personnages dotés d’un certain souffle ; ce que j’estime manquer dans ce premier tome.
Alors qu’on aille pas trop loin, le casting n’est pas raté. Il est même plutôt réussi, si on est disposé à se contenter d’archétypes, avec quelques bons moments de comédie et d’action, bien rythmés, et une intrigue solide, sans être révolutionnaire. Mais peut-être que c’est là que le bât a particulièrement blessé pour moi, finalement : je ne suis pas contre les récits classiques, quand ils savent faire preuve de personnalité et d’un minimum d’audace. Je trouve que Les Maîtres Enlumineurs manquent de personnalité : j’ai le sentiment que ce roman, fourni avec son système de magie clé en main et un cahier des charges, aurait pu être écrit par absolument n’importe qui. Je n’ai pas senti que son auteur s’y amusait le moins du monde ou y prenait plaisir, je n’ai senti que la sueur d’un travail quasi obligatoire, un passage obligé. Comme si, une fois que le plus intéressant était construit, à savoir l’enluminure, le reste était accessoire : une simple vitrine juste là pour permettre à l’auteur de montrer l’œuvre d’art à l’intérieur.

Parce que c’est ça le truc, aussi. Je n’ai rien contre les clichés et les archétypes, en eux-mêmes. Bien utilisés, avec une petite – même minuscule – dose de surprise et de détournements, ça passe, au bon endroit et au bon moment. Mais à l’inverse, quand dès l’exposition de certains profils et événements, on devine instantanément où tout cela va nous mener, n’attendant plus que les moments de fausse révélation, il faut bien dire que ça devient affreusement lassant. Croyez moi ou non, mais dans le premier quart du roman, j’avait deviné les trois quarts des révélations et cœurs des péripéties à venir pour nos personnages, avec même parfois une exactitude qui m’a moi-même scotché.
Pas pour dire que le quart restant ne m’a pas fait hausser un sourcil agréablement surpris, à l’occasion ; mais ces surprises dépendant principalement d’un système de magie dont j’ignorais forcément l’intégralité avant de commencer ma lecture, je ne peux pas dire que la réussite soit complète non plus de ce côté-là. En fait, si je suis aussi critique, c’est sans doute parce que j’ai été déçu de voir à quel point les rares audaces narratives de Robert Jackson n’en étaient pas vraiment, en tout cas pas à mes yeux ; ou alors dépendaient d’une vision qui n’est plus subversive selon mes standards depuis longtemps. C’est ce qui explique le plus logiquement cette insidieuse forme d’ennui ressentie et exacerbée au long de ma lecture ; être capable, à la fin d’un chapitre, de prédire exactement comment va démarrer le suivant, puis de sentir à l’avance comment ledit chapitre va lui-même se terminer, et ainsi de suite, ça crée une sournoise monotonie qui s’applique dès lors à l’ensemble du roman. Ladite monotonie ne s’arrangeant pas plus en voyant s’empiler beaucoup d’éléments qui – personnellement – me semblent de plus en plus superfétatoires dans les récits fictionnels, épaississant et accélérant des aspects d’un récit qui aurait sans doute mérité d’un peu plus prendre son temps sur certains d’entre eux. On en revient au côté « cahier des charges d’une histoire populaire » donnant presque l’impression d’un sacrifice de l’auteur pour avoir le droit d’exploiter son high concept de science-fantasy.

Alors encore une fois, je ne dis pas que le roman est mauvais, même si je conçois que je peux donner l’impression inverse. À vrai dire, il est même plutôt bon à beaucoup d’égards ; il dénote même, je pense, d’un certain nombre d’efforts d’un auteur essayant d’inscrire son roman dans l’air du temps. Peut-être avec maladresse, peut-être avec une certaine lourdeur dans la manière, peut-être avec un certain manque d’enthousiasme ; mais pas sans talent ni efficacité. Malgré tous mes reproches sur un fonds un peu trop convenu ou trop technique, il demeure que le récit file droit et raconte des choses intéressantes ; sinon je ne serais pas allé au bout. Il y a là dedans de quoi être curieux, en dépit de ce que je peux personnellement ressentir sur le manque d’audace de Robert Jackson Bennett, qui inscrit ses efforts créatifs dans un paradigme ultra-familier pour leur permettre d’exprimer clairement son point de vue sur le reflet que ce miroir nous tend. La démarche est d’autant plus louable qu’elle a fait ses preuves ; je me suis simplement rendu compte à sa lecture qu’elle ne me convenait plus autant qu’à une autre époque. Je n’ai rien contre des histoires assez classiques tournant autour d’un concept dépaysant créant des macguffins exotiques, mais je ne suis plus particulièrement pour, en tout cas pas tant que je n’ai pas des personnages organiques et des relations interpersonnelles puissantes pour en faire bouger les rouages. Je vieillis, sans doute, je deviens difficile ; plus je lis, plus de choses me deviennent familières, et plus il devient ardu de me prendre par surprise. Parfois j’aimerais avoir une moins bonne mémoire.

Bref, un bon roman, indubitablement, mais pas pour moi, une fois de plus. Trop convenu, trop prévisible, malgré quelques audaces de l’auteur. Je n’ai pas réussi à mes passionner pour des enjeux trop évidents et des trajectoires pas assez subversives, pas plus que je n’ai réussi à entretenir ma curiosité au delà de ce que ce premier tome raconte. Comme l’impression, en dehors de ses aspects techniques, que je l’avais déjà lu ailleurs. Peut-être que la suite aurait arrangé certains de ces défauts, peut-être pas. Mais je ne le saurais sans doute jamais, parce que je n’ai aucune envie de lire la suite. Tant pis.
Et ça fera bien l’affaire pour une conclusion, parce qu’aussi courte qu’elle soit, elle dit quand même tout ce que j’en ai pensé.
Sans rancune. Peut-être une prochaine fois.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

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