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Sorrowland, Rivers Solomon

Promise – Voyager (extrait de l’album Fearless In Love)

On continue la série des bouquins que j’ai mis beaucoup trop de temps à lire après un achat enthousiaste. Mes lectures des excellents L’Incivilité des fantômes et Les Abysses avaient en effet toutes les raisons de me laisser croire que Sorrowland serait un très bon moment de lecture également. Cependant, comme toujours tributaire de mes humeurs difficiles, j’avoue que la perspective d’une ambiance similaire à ces deux ouvrages – à savoir un peu lourde et angoissante – me faisait un peu peur, expliquant ma pusillanimité, sans vraiment l’excuser. Car je l’ai déjà dit et je le redis, je pense que la voix littéraire de Rivers Solomon, au-delà d’être qualitative, est importante, oserais-je même dire nécessaire, ne fut-ce que par son évidente singularité et la pertinence de ses choix. Alors au gré d’une conversation sur les réseaux, il aura finalement suffit d’une allusion à ce livre et à certains de ses aspects particuliers pour que je me remotive.
Et me voilà maintenant, pour vous dire ce que j’ai pensé de l’expérience. Pour la résumer : j’avais tort d’avoir peur, mais j’aurais peut-être du me méfier un peu plus pour d’autres raisons. Du moins c’est sans doute ce que je vais faire à l’avenir, parce que j’ai clairement des biais personnels qui commencent à gâcher mes lectures. Et pour ne pas résumer, il y a la chronique, qui heureusement peindra un portrait plus flatteur du roman.

Vern vient d’accoucher, seule, au milieu de la forêt, de jumeaux, après avoir fui la secte où elle a été élevée. Et au delà des évidentes séquelles d’un passé aussi brutal, elle doit aussi composer avec d’étranges changements dans son corps et son esprit, dont elle ignore les causes réelles. Ce qu’elle n’ignore pas, c’est qu’elle est aussi poursuivie : elle doit donc composer avec sa situation extrêmement précaire, élevant ses deux enfants dans les bois tout en fuyant son passé et le reste du monde qu’elle sait lui être profondément hostile.

Voilà : d’emblée, c’est pas la joie, au contraire. C’est ce que je craignais, sincèrement, en m’attaquant à ce roman ; comme pour mes deux autres lectures de Rivers Solomon, que l’atmosphère soit dure, le récit glauque au possible, chargé de cette mélancolie agressive qui læ caractérise à mes yeux. Le fait est que si j’aime les côtés les plus mordants et revendicateurs de sa littérature, le fond de regret et de tristesse que j’y trouve également à chaque fois à tendance à ne pas toujours me mettre dans les meilleures dispositions, d’où ma méfiance, encore renforcée par des retours et un titre me suggérant que ce volume n’était encore une fois pas des plus souriants et optimistes.
Et effectivement, donc, le fond de l’affaire n’est absolument pas propice aux sourires et à la bonne humeur, puisque ce livre est frontal dans ses ambitions, les affichant même dans une note précédant le texte : on ne pourra pas accuser l’auteurice de faire semblant ou de ses cacher derrière le moindre prétexte pour ne pas taper là où iel tape. Non, au contraire, c’est parfaitement clair, et j’aurais tendance à dire que c’est littérairement pour le mieux : on apprécie d’autant plus ce dans quoi on met les pieds quand on le fait en toute connaissance de cause. Ce roman ne prétend pas seulement raconter seulement l’histoire qu’elle raconte ; cette dernière à des ramifications, des symboliques, des ambitions, qui vont bien au delà du destin singulier de Vern.

Et c’est là que le bât a blessé pour moi, je crois. Comme toujours, je vais devoir dissocier les notions de qualité et de plaisir pour préciser mon propos avant de le formuler. Sorrowland est indubitablement qualitatif, mais je n’y ai pas pris autant de plaisir que dans mes précédentes lectures de Rivers Solomon, pour la simple raison que j’ai trouvé que ce roman était un clone conceptuel de ses prédécesseurs, reprenant les mêmes ingrédients pour livrer une recette marginalement différente, mais exprimant finalement les mêmes saveurs.
Ce que je veux dire par là, c’est qu’au bout du troisième roman codant dans son intrigues des enjeux autour de l’identité queer, de la marginalité induite par la couleur de peau dans un monde raciste, et du parcours d’émancipation tumultueux de son personnage principal ; en dépit de toutes les qualités de son auteurice pour les écrire, j’ai forcément un peu le sentiment que tout ça commence un peu à tourner en rond. Et ça se retrouve forcément dans le roman lui-même, qui raconte une histoire somme toute très basique quand réduite à ses plus simples composantes, et peine à sortir des clous dans lequel il s’enferme lui-même à force de se contorsionner pour que tous ses éléments expriment une part de son allégorie globale. Ce qui, assez ironiquement, je le crains, diminue la force de leur synergie : l’allégorie peut-être aussi bonne que possible, si l’histoire qui la supporte n’est pas plus efficace, alors l’ensemble est fragilisé.

Alors c’est sans doute à mettre en grande partie sur mon compte : mon obsession analytique et ma mémoire des précédents opus de Rivers Solomon m’ont très vite fait craquer le code et comprendre le fond de l’énigme qui m’était proposée, anticipant de fait beaucoup trop d’éléments de l’intrigue ou annulant toute possibilité de véritable surprise. Et je dis ça tout en considérant la possibilité que je confonde l’allégorie et l’applicabilité, évidemment ; mais demeure que les thématiques abordées par l’auteurice dans ce roman, quoique sous un angle relativement différent de ses ouvrages précédents, sont encore les mêmes. Je ne peux évidemment pas dire que cela gâche complètement le roman, mais je dois bien dire que je trouve dommage de ne pas être allé·e chercher plus loin.
À vrai dire, à plusieurs reprises, j’ai eu le sentiment que le texte se cherchait un peu lui-même, racontant des scènes pas forcément palpitantes à quelque niveau que ce soit ; attendant un peu qu’il se passe quelque chose indépendamment des personnages pour pouvoir commencer à de nouveau raconter quelque chose d’intéressant qui aurait pu être raccroché à l’allégorie générale du roman. Et de fait, on se retrouve ponctuellement avec des transitions assez brutales, des passages de dialogues et d’exposition un peu creux, qui semblaient plus être là comme des remplissages entre les séquences importantes afin de ne pas trop se précipiter, créant un étrange faux rythme dans le roman.

Et c’est dommage, parce que c’est probablement le roman de Rivers Solomon que j’ai trouvé le plus volontairement positiviste dans le parcours de son héroïne queer, proposant à la lecture un arc d’émancipation et de libération personnelle vraiment réussi ; me laissant même volontiers croire que si ce genre d’émotions littéraires étaient ma came, je m’en serais délecté au delà d’une froide analyse. Seulement voilà, que ce soit du côté hétéronormé ou LGBTQIA+ de ces questions, j’y reste désespérément insensible, ne parvenant pas vraiment à m’y intéresser au-delà de ce qui m’est clairement donné par les auteurices qui les commettent dans leurs ouvrages : je ne suis de fait probablement pas une référence à suivre.
Mais demeure, vraiment, que malgré mes reproches quant à une certaine redondance dans les thèmes et les réflexions de Rivers Solomon, aussi justes et importantes soient-iels, il me faut par honnêteté aussi souligner que les choses se passent nettement mieux dans ce volume que dans les autres. Ou tout du moins, l’ambiance y est à mes yeux moins lourde, moins fataliste, plus optimiste. Ou en tout cas pas aussi pessimiste qu’auparavant, c’est difficile à bien spécifier. Alors c’est peut-être à mettre sur le compte d’un fantastique très léger, servant surtout de métaphore géante peu subtile – à mes yeux – et ne pesant de fait que très peu sur le récit, avec des conséquences minimes voire invisibles, mais il n’empêche que de ce côté là, il y a un peu de changement bienvenu.

Et tout ça donne un cocktail littéraire un peu difficile à définir pour moi, forcément. D’un côté, j’ai plutôt passé un bon moment, décortiquant comme toujours avec Rivers Solomon un texte à tiroirs assez efficace, où chaque aspect de l’histoire sert un propos plus discret brodé dans le tissu du récit, avec des personnages et des thématiques fortes ; me faisant dire que cet·te auteurice unique continue à porter une voix aussi essentielle que rare. Et de l’autre, je dois concéder aussi que j’ai le sentiment d’être le converti qu’on prêche, et j’ai le sentiment un peu coupable d’avoir déjà lu ce roman sous d’autres formes auparavant, avec à l’époque plus de force de frappe et d’impact sur ma vision du monde ; comme j’ai le sentiment que ce roman précis n’est pas le plus inspiré que j’ai pu lire de la part de son auteurice, sans doute parce que j’ai encore trop en mémoire ses ouvrages précédents.
De fait, je dirais que pour une première rencontre avec l’œuvre de Rivers Solomon, Sorrowland est assez parfait, donnant à voir un regard certes acerbe et mordant mais somme toute lucide sur la condition des personnes racisées et queer, de l’intérieur ; une nécessité qui ne cesse d’être d’actualité. Même si j’avoue qu’assez égoïstement, j’aimerais, à l’avenir, pouvoir goûter au magnifique talent de Rivers Solomon à propos de sujets un peu différents, ou avec l’impression d’un vrai décalage quant à ses premières œuvres, histoire de varier les plaisirs.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

One comment on “Sorrowland, Rivers Solomon

  1. whaou quelle analyse. Perso je me laisse porter par le texte et les mots de Rivers Solomon et j’apprécie la qualité littéraire. Et j’aime me perdre dans ses questionnement de genre, de pouvoir et autres sujets sensibles….
    Et il y a un point où je suis d’accord avec vous, c’est que ce livre est nettement plus optimiste que ces précédents bouquins.

    Aimé par 1 personne

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