Jour 19
Fin de Matinée
Fanny et moi avons pris le temps de discuter hier soir, juste histoire de tenter de se détendre, tant bien que mal. On s’est installé au premier étage d’un immeuble qui semblait être plutôt huppé, on s’est engouffré à travers la première porte ouverte qu’on a croisée. On a passé l’entièreté de la journée à fouiller tout l’immeuble pour se préparer au mieux aux dures journées qui nous attendent. Le stock est pas fameux mais il nous laisse un peu de temps pour nous poser, souffler et effacer une part du traumatisme. Papoter reste une des activités idéales pour passer le temps et éviter de trop gamberger.
Ce qui nous a tout de même fait nous rendre compte de quelques trucs bizarres par rapport au timing de l’évacuation, et à l’évacuation elle même. A voir l’état général de la ville, il n’y a pas beaucoup de voitures ou de véhicules en général. A croire que malgré l’évidente rapidité du processus, tout s’est passé dans un ordre remarquable. Seulement quelques portes restées ouvertes, quelques très rares effets personnels laissés sur place, mais globalement, on vit actuellement dans une ville fantôme, une vraie de vrai, du genre qui te montre bien que personne n’a prévu d’y revenir.
Je crois qu’on discute de tout ça pour surtout éviter de parler de ce qui s’est passé avec l’autre. J’arrive pas à croire que la sauvagerie ait pu s’emparer de lui aussi vite.
Mais passons. Encore une fois, la même question qui revient : qu’est ce qui a pu motiver une évacuation aussi soudaine et aussi gigantesque ? On parle quand même de l’armée qui est venue déplacer quelque chose comme 200000 personnes en quelques heures ! Comment c’est même possible ? On aimerait avoir le temps et l’énergie de s’interroger, mais à l’urgence de la situation s’ajoute maintenant la peur qu’il nous cherche et nous trouve. Les chances sont menues, mais elles existent.
L’objectif est plutôt simple désormais. Étant donné la situation, nous allons nous concentrer sur notre sécurité. Hors de question de sortir autrement que tous les deux, et sans armes. Cette décision nous coûte, mais de toute évidence, plus le temps va passer, moins nos rencontres ont de chances de se passer aussi pacifiquement que celle entre Fanny et moi. Cette épreuve-ci a un peu plus soudé nos liens et notre affection mutuelle je crois, autant qu’elle a renforcé notre conviction de l’importance de la solidarité face à l’adversité. Francis n’a aucune chance de survivre avec son rythme de consommation actuel et sa façon de côtoyer les gens. Si tant est qu’il ait survécu au coup que Fanny lui a mis à la tête. Et ailleurs. 😉
Trêve d’écriture. Il faut qu’on aménage notre nouveau chez nous avec un peu plus d’efficacité, qu’on évalue nos stocks, et éventuellement qu’on songe à fouiller les alentours. On a du partir dans un coin qu’on avait pas eu l’occasion d’explorer pour le moment. C’est grand une ville, quand on y pense.
Jour 21
Début de Soirée
Avec tout ce qui s’est passé, je me suis rendu compte que ce journal n’a pas du tout l’intérêt que je lui prêtais quand je l’ai commencé. Je pensais vraiment m’en servir comme d’un moyen de raconter ce qui avait pu se passer ici, de laisser une trace, un témoignage utile. Certes, c’est toujours ce que je veux faire, d’une certaine manière, mais je me retrouve à me dire qu’il n’y a pas grand chose à raconter. En dehors de notre mésaventure avec Francis, il ne s’est vraiment pas passé quoi que ce soit de notable dans les environs. Fanny et moi sommes désormais convaincus que les seuls à savoir ce qu’il s’est passé ici sont à l’extérieur et que très peu d’Oubliés demeurent à l’intérieur de ce que nous devinons être une zone de confinement autour de la ville. Nous avons certaines voitures à disposition mais aucunes connaissances pour les démarrer sans clés (de toute façon j’ai même pas le permis), nous n’avons vu aucun avion ou hélicoptères survoler la ville, nous n’en avons pas non plus discerné dans les airs à une quelconque distance. Sortir de la ville nous prendrait trop de temps, d’autant que nous sommes assez sûrs que notre statut de ville de province nous met assez loin d’une autre ville importante, donc la distance à pied nous priverait sans doute d’un abri sur le chemin si on ne sait pas où on va.
Bref, nous sommes clairement coincés.
Et donc ce journal est avant tout un moyen de structurer mes pensées, de mieux réfléchir, de mettre les choses en perspective, peut être de trouver de nouvelles solutions ou de juste ne pas sombrer tout de suite dans le désespoir. Seulement 21 jours…
Fin de Soirée
Petite mise à jour de la situation. On a mangé, tranquille, sur le toit, comme d’habitude, pour éventuellement repérer des signaux lumineux ou autres, quelque chose, dans la ville. Rien à signaler, évidemment. Mais Fanny m’a reparlé des deux cadavres qu’on a croisé dans la zone industrielle, et elle a soulevé un point important. Comment et pourquoi ces deux personnes ont elles fini dans un panneau électrique ? On a été trop choqués, trop concentrés sur d’autres aspects de ce qui nous arrive pour y réfléchir, mais elle a raison, c’est étrange. Donc on a convenu de se préparer une nouvelle expédition dans ce coin, plus longue que la précédente – autant profiter du fait qu’on s’en est un peu rapproché pour échapper à l’autre. On partira dans quelques jours, après s’être assuré de pouvoir protéger notre nouvelle planque contre d’éventuelles intrusions. Francis ou n’importe qui d’autre. Après tout j’ai bien passé un semestre entier dans un immeuble étudiant sans jamais croiser certaines des personnes qui y habitaient ; on peut bien passer 21 jours dans une ville fantôme sans croiser personne non plus, ça ne veut pas dire qu’on est absolument les seuls à y avoir été oubliés.
Tiens je me demande si Fanny tient un journal aussi. Et je me demande si je vais pas lui montrer le mien. J’aimerais bien ne plus avoir à me cacher pour l’écrire. A bien y réfléchir, je ne sais même pas pourquoi je lui ai caché au départ.
Je vous tiens au courant de tout ça.
Jour 24
Fin de Soirée
OKAY. Beaucoup de choses à raconter et pas beaucoup de temps pour l’écrire. Je vais donc tenter un rapide résumé de la situation.
On a mis deux jours à se préparer. On a protégé un maximum d’accès de notre immeuble, tenté de consolider/blinder les portes, surtout celle du garde-manger, tout en essayant de faire en sorte qu’elle ressemble à n’importe qu’elle autre porte, mais qu’on puisse nous y accéder facilement. puis on est parti très tôt le matin du jour 23 vers la Zone Industrielle, avec de quoi nous faire un plan de meilleure qualité que celui qu’on avait avant. Finalement, l’électricité est tombée là bas aussi, on n’en a croisé nulle part sur le chemin. On a identifié deux autres supérettes et quelques autres magasins éventuellement utiles, le trajet nous a pris 2h15 cette fois, le campus, notre planque actuelle et la zone industrielle forment un triangle dans lequel nous avons maintenant presque tout vu, sans avoir tout fouillé.
Mais l’important n’est pas là, ce n’est que le contexte.
On est arrivés sur place aux environs de 9h30. On s’est dirigé tout de suite vers l’entrepôt qu’on avait croisé la dernière fois, en se disant qu’en surmontant notre nausée, on pourrait peut être en apprendre plus sur les deux cadavres ou leur histoire ; histoire d’éventuellement pouvoir se prémunir du genre de mésaventures qu’ils avaient connus. On n’a pas vraiment pu s’interroger sur la question puisque sur le chemin, en passant par une rue qu’on n’avait pas emprunté la première fois, on est tombés sur la planque d’un SDF. Une espèce de cabane de fortune, planquée dans un bosquet, à l’arrière d’un bâtiment désaffecté, faite de bouts de bois, de tôles, de plastiques en tous genres, avec comme porte un vieux rideau de douche en toile cirée. Impossible de savoir si elle avait été construite avant ou après l’évacuation tellement elle semblait à peine tenir debout. On s’est contenté de la remarquer pour simplement continuer notre chemin, mais on a entendu du bruit qui semblait venir de l’intérieur. Un mélange entre grognements et bruits de bordel qu’on remue. On s’est regardé, et à voix basse, on s’est dit que si un SDF avait été Oublié aussi, la moindre des choses était de lui proposer notre aide. Je reste admiratif de ce qu’a dit Fanny à ce moment là, du style « tout le monde n’est pas Francis ».
On s’est avancés pour lui parler. On n’a pas eu le temps, puisqu’il s’est jeté sur nous à travers le rideau. Les intentions agressives ne semblaient laisser aucun doute. Fanny avait sans doute été échaudée par sa terrible expérience, elle lui a instantanément mis un coup de pied-de-biche à la tête. Il s’est écroulé sur le coup. Le bruit du métal sur l’os, même à travers l’épaisseur du rideau, c’était terrible.
Toujours aussi haletant !
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