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Ni d’Ève ni des dents – Episode 15

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Jour 63 – 4 Juin
12h00

Je n’ai pas eu le cœur à écrire ces derniers jours. Perdue entre un profond désespoir et le devoir que je me suis donné de m’occuper de Daphné. On a surtout parlé, autant pour continuer à faire vivre un peu ses parents que pour se faire à l’idée qu’ils ne sont plus là et déjà morts, d’une certaine façon.
Carl et Fred sont partis à leur tour, dès le lendemain du départ des hélicoptères, ne nous accordant que l’amabilité de nous prévenir à l’avance. J’ai essayé de les convaincre qu’aller vers le cordon sanitaire demeurait la pire décision possible, mais ils ne voulaient rien entendre, persuadés que leur plan de rester à bonne distance entre les infectés et l’armée leur accorderait le meilleur des deux mondes. Tant pis pour eux. Ils ont gardé leur voiture, j’ai gardé la clé du garde-manger.
Qu’ils se débrouillent dans leur coin, nous nous débrouillerons dans le nôtre.
Et puis, foutu pour foutu, j’ai aussi décidé de m’occuper d’Eric plus franchement. Daphné n’a pas le courage de m’aider, je ne lui en veux pas. Mais comme c’est un Effacé, je me suis dit que je ne risquais rien à rentrer dans sa cellule. Finalement, on dirait juste qu’il a un gros souci psychomoteur, et les protections dont je m’étais parée n’auront eu aucune utilité. Il ne m’a même pas regardé, presque pas émis le moindre son. Tout ce temps nous avions peur pour rien. Même si c’était logique. Mais encore plus aujourd’hui, je refuse d’être celle qui abandonnera quelqu’un derrière elle.
Il est affreusement amaigri et faible, il ne peut presque plus bouger. Ce qui a achevé de me rassurer sur les risque que je prenais et qui aussi, quelque part, a facilité l’ingestion de l’espèce de bouillie que je lui ai préparée pour mon premier essai afin de le nourrir, puisqu’il est aussi incapable de mâcher quoi que ce soit. La majeure partie a fini par terre, mais je l’ai vu déglutir, par un quelconque réflexe musculaire ou un instinct de survie que son corps aurait conservé. Je vais réfléchir à d’autres façons de faire, à la fois pour moins gâcher et être plus efficace.
Mais le plus pénible est sans aucun doute le moment où je me suis rendu compte qu’il allait falloir régulièrement faire sa toilette, afin d’éviter les infections, ou pire. La quantité de tissus et d’eau nécessaire va vite devenir un problème, autant que le stockage des déchets qui en résultent. Je vous épargne les détails sur la première fois que je suis passée à l’acte.
Je peux le sauver, j’en suis sûre. Ou du moins faire de mon mieux pour qu’il ne meure pas sous ma garde.

17h40

J’écris devant Daphné maintenant. Je crois que cette épreuve nous a liées, forcément. Ou qu’au pire, elle s’en fout complètement, ce que je pourrais tout à fait comprendre. Nous avions constitué des stocks pour 6, nous ne sommes plus que 2 et demi. Autant dire qu’en nous rationnant, ce que j’ai décidé que nous ferions pour nous éviter un maximum de sorties, nous en avons pour plusieurs semaines de stocks de nourriture, et les quelques pluies d’été auxquelles nous aurons probablement droit rempliront aisément la multitude de bidons disposés sur le toit pour subvenir à nos besoins d’hygiène. Mes règles ont du retard d’ailleurs, le stress, le dérèglement de mes habitudes, les privations, que sais-je ; mais c’est sans doute logique aussi, même mon corps doit revoir ses priorités j’imagine. Nous avons aussi une grosse quantité d’eau potable en réserve. Ce n’est plus cet aspect là qui m’inquiète. L’important maintenant, c’est juste de savoir à qui nous pouvons encore faire confiance, et si à terme, nous aurons ou non une chance de nous en sortir.
Si nous devons également considérer l’armée comme notre ennemie, alors vers qui nous tourner ? Et que peut-il bien se passer en territoire sain ? C’est vrai que je ne crois pas y avoir vraiment réfléchi jusqu’à aujourd’hui. Est ce qu’on en a seulement discuté, tous ensemble ou en plus petit groupe, une seule fois ?
Et qu’est ce qui, aujourd’hui, motive des bombardements, autant que des expéditions en territoire infecté, uniquement menées par l’armée alors qu’il semble bien qu’une partie seulement du pays est touchée ? Précisément, d’autres zones seraient elles donc infectées ?
Nous prendrons le temps d’y penser plus profondément lorsque le temps sera venu. Pour le moment, nous devons nous concentrer sur notre survie, et je dois me concentrer sur le bien-être d’Eric et Daphné. Ils n’ont plus que moi.
Et je n’ai plus qu’elle et lui.

Jour 70 – 11 Juin
19h30

J’aurais sans doute pu reprendre le journal plus tôt. Mais, je n’ai pas eu une seule fois le sentiment qu’il se soit passé quelque chose qui aurait valu le coup d’être raconté. Aujourd’hui, c’est d’ailleurs la lassitude plutôt qu’autre chose qui me motive à écrire quoi que ce soit ; même la vue ponctuelle des avions, venus larguer leurs bombes aux mêmes endroits, à intervalles irréguliers, ne suffit plus à me faire monter sur le toit. Incroyable de constater que même dans un contexte comme celui ci, la routine trouve tout de même moyen de s’installer. Aucune nécessité de sortir pour le moment, nos déchets étant drastiquement réduits par notre nombre réduit, nos stocks toujours volumineux, d’autant que notre consommation est aussi réduite par notre faible moral et notre faim limitée par des besoins d’activités limités.
Nous devrions sans doute nous en inquiéter, mais nos perspectives ne nous amènent pas forcément à la positivité, au contraire. Les infectés sont toujours de plus en plus nombreux, mais ne se massent toujours pas dans notre secteur, selon une logique qui nous échappe, préférant imposer leur présence à d’autres secteurs de la ville. J’écris ça depuis le toit, et je me rends soudain compte que notre quartier, comme certains autres, semble presque déserté, tout du moins peu fréquenté, seulement parfois traversé d’un ou deux infectés qui semblent encore plus perdu qu’à l’ordinaire. Comment ne l’avons nous pas remarqué avant ? Il faut que je regarde mieux.

Jour 72 – 13 Juin
13h15

Je suis obligée de mettre nos investigations sur les schémas de déplacement des infectés en pause quelques minutes le temps de vous tenir au courant d’une avancée majeure concernant Eric. Pour la première fois ce midi, alors que je le nourrissais comme j’en ai désormais pris l’habitude, il a tenté de parler. Ce n’était qu’un borborygme, un grognement indistinct, mais c’est le premier son qu’il produit depuis son basculement. Je ne sais pas du tout ce que ça peut signifier, il n’a répondu à aucun de mes stimuli suivants. Il a continué à manger ce que je lui donnais, sans plus rien fait d’autre. À noter qu’il commence a reprendre un peu de poids et que ses yeux semblent parfois essayer d’accrocher certains de mes mouvements, du moins quand la nourriture ou l’eau sont impliquées. Je vais sans doute commencer à de nouveau me protéger quand j’irais m’occuper de lui, mais s’il y a nouveauté, il y a forcément une piste à étudier.
Et en parlant d’étudier, Daphné et moi nous sommes jetées comme des morts de faim sur l’observation que j’ai faite il y a deux jours, autant par intérêt que par peurs de l’ennui et du renoncement qui nous guettent. Car si certains lieux ou configurations repoussaient ou limitaient les appétits et pulsions des infectés, cela serait une très bonne nouvelle pour nous et notre quête de sérénité. Sans parler du fou rire que cela nous causerait de nous rendre compte que l’immeuble choisi complètement par hasard lors de notre installation serait en fait la meilleure option depuis le début. Mais nous n’en sommes pas encore là, nous en sommes même très loin.
Nous prévoyons désormais quelques éventuelles sorties sur le terrain pour tenter d’observer le phénomène de plus près. Un des autres quartiers qui m’a semblé boudé par les infectés n’est pas très loin vers l’ouest ; notre meilleure opportunité pour tenter de découvrir des indices sur un éventuel dénominateur commun entre cet endroit et celui que nous occupons.

Jour 75 – 16 Juin
19h00

Il nous faut nous rendre à l’évidence, il nous manque trop de données pour avoir le moindre commencement d’idée sur le fonctionnement de ce que nous appelons désormais des zones-sanctuaire. Après avoir traversé plus des trois quarts de la ville et fuit un nombre conséquent d’infectés, qui ne semblent pas souffrir du moindre affaiblissement lorsqu’il s’agit de nous courir après, nous nous sommes en effet rendu compte que un peu partout, à intervalles irréguliers mais pas si éloignés les unes des autres, des zones entières semblent dépeuplées. Il pourrait s’agir de quelque chose dans l’air ou dans l’eau, ou la configuration des lieux, nous n’en avons aucune idée. Rien ne semble, à vue d’œil, et compte tenu de nos trop faibles connaissances, faire sens pour expliquer ce phénomène. Retour à la case départ donc, exception faite donc de ces zones qui nous permettront sans doute d’explorer la ville, lorsque cela sera de nouveau nécessaire, avec un peu plus de sérénité et de préparation.
Mais fi de la préparation, les surprises ne cesseront sans doute jamais.
Les hélicoptères sont de retour.

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