20h21
Le bruit des avions et des hélicoptères nous a flanqué une frousse bleue à tous les trois, et surtout ont gâche un très bel instant de communion et de sérénité. Seul fait amusant et intriguant, c’est Eric qui a perçu l’arrivée des appareils militaires le premier. Je lui ai repris le carnet pour pouvoir rendre compte plus précisément des événements de la soirée et de la nuit. Mais aucun moyen de vraiment voir ce qui se passe à l’extérieur. Bien qu’il ne fasse pas encore nuit, la pénombre commence à s’installer partout autour de nous, la moindre lumière émise nous ferait aussitôt repérer, et ce n’est pas le genre de risques que nous pouvons nous permettre de prendre en ce moment.
Nous pouvons sans doute nous rassurer pour le moment, ils ne font que nous survoler, même si leur altitude est particulièrement basse, au point de faire trembler les environs. Les hélicoptères ne sont pas du modèle croisé auparavant, ils sont bien plus trapus, et plus lents.
Nous n’avons plus l’avantage de la hauteur que nous avions dans l’immeuble, donc ne voyons rien d’ici, même s’il est facile de deviner à quoi les avions vont servir. Les hélicoptères nous laissent tous les trois bien plus perplexes. Il va nous falloir nous approcher pour savoir de quoi il retourne, mais la nuit nous rendrait bien trop voyants et vulnérables. Nous verrons donc demain. En attendant, il ne nous reste qu’à essayer de dormir.
Jour 88 – 28 Juin
8h00
Nous nous sommes levé.e.s avec les premières lueurs du jour, en partie par curiosité de découvrir de quoi il retourne à l’ouest aussi tôt que possible, mais surtout parce que nos sommeils ont été très perturbés. En vrai, nous n’avons presque pas dormi de la nuit, sans cesse reveillé.e.s par le ballet, incessant et irrégulier, des hélicoptères, des avions et de leurs bombardements. J’ai du en compter 5 ou 6 de chaque, et autant d’attaques au sol, à des distances variables si je peux encore croire la capacité de mes oreilles à juger la distance. Daphné m’a fait le même récit, donc j’ai confiance en ce jugement. Coup de chance, on a trouvé dans la chambre d’enfant abandonnée de cette maison une petite ardoise pour qu’Eric puisse tenter de communiquer avec nous autrement que par grognements ou en pointant du doigt. Il a toujours du mal à tenir le marqueur ou le petit bloc effaçant, mais le fait de pouvoir le laisser vivre dans son coin et le savoir en possession d’une partie de ses moyens vaut bien de devoir lui ramasser ses affaires de temps en temps.
Je n’arrive pas à croire qu’il soit, dans une certaine mesure, de retour parmi nous. D’autant que je ne cesse de me demander ce qui a bien pu faire la différence. Pourquoi aucun autre des – nombreux – Effacés que nous avons pu croiser n’a réussi à s’évader de sa condition ? Mais nous avons clairement d’autres priorités pour le moment. Comme prendre un maximum de distance avec la ville, pour commencer. Mais maintenant, il nous faut sans doute aussi composer avec ce que l’armée manigance à l’ouest, ce qui doit bien sûr comprendre du débarquement de troupes.
Notre plan a donc encore été légèrement adapté. Nous continuons vers l’ouest, mais en essayant de trouver quelques hauteurs pour étudier plus précisément notre éventuel futur itinéraire ; il nous faudra éviter l’armée, les éventuels infectés sur le chemin, et comprendre ce que font les militaires dans le même temps. Tout un programme.
Midi
Mon tour carnet. Aide réfléchir. Aide sentir humain. Aide rappeler choses quand malade. Important.
Pause manger. Militaires loin encore. Mais nombreux moi pense. Pense guerre là bas. Sais pas pourquoi guerre. Sais pas contre qui. Mais guerre. Sûr. Nous victimes collatérales. Cobayes aussi peut être. Juste voir comment réagir. Comment évoluer pendant guerre. Satellites voir nous. Sûr. Pas trop espoir. Pas très envie continuer. Pas envie prendre risques. Mais pas choix. Sais pas quoi faire. Fanny Daphné décident. Moi ok avec elles. Rien sans elles.
Veux pas mourir. Pas encore.
13h05
J’ai de plus en plus peur que l’hypothèse d’Eric soit juste. J’y ai songé plus d’une fois, en l’écartant à chaque fois. Pas parce que je n’y croyais pas, mais parce que j’avais peur de la considérer, ainsi que tout ce qu’elle pouvait suggérer au delà d’elle même. Après tout, qu’est ce qui pourrait bien empêcher l’armée de nous observer depuis l’espace ; qu’est ce qui l’a empêchée d’évacuer tout le monde ? Que certaines personnes soient passées au travers du filet, je l’admets. Mais en y réfléchissant bien, qu’Eric, par exemple, ait été le seul à être oublié dans l’ensemble de son immeuble, ça n’a aucun sens. Pareil pour moi, dans des circonstances somme toute similaires.
Tout ceci pouvant également expliquer pourquoi et comment les militaires savaient où nous étions, mais n’aient fait aucun effort pour venir nous chercher pour autant. Tout le temps passé à survivre aux infectés, autant de données à étudier pour eux à partir du moment où ils nous mettaient le grappin dessus. Les parents de Daphné n’avaient été qu’une aubaine à saisir sans trop d’efforts ni de risques. Cette peur est fondée, malgré le manque de preuves directes. Nous dirigeons nous vers un piège ? Nous serons bien obligé.e.s de le découvrir tôt ou tard. L’idée maintenant, c’est de le repérer, pas de tomber dedans.
17h13
Nous progressons à marche soutenue. Nous avons atteint une colline, à quelques kilomètres de la ville suivante, notre prochaine destination, sauf imprévu militaire. Nous allons sûrement y faire une pause camping jusqu’à demain matin ; d’ici nous pourrons sans doute voir à quelles manœuvres se livre l’armée, si tant est qu’elle s’y livre effectivement cette nuit. Mais dans tous les cas, nous préférons vérifier si nous pouvons voir ce qu’il font dans le coin avant d’avancer. Nous ne pouvons pas nous permettre la moindre décision sur la base d’informations lacunaires. Donc on va se poser sous le couvert des arbres et observer vers l’ouest avec les jumelles et espérer comprendre quelque chose de plus à la situation. Mais nous ne pouvons pas dire que nous sommes optimistes.
21h30
Le ballet commence. Même nombre d’avions, mais pas d’hélicoptères. Ils ont sans doute servi à débarquer des troupes en nombre, dont nous n’avons toujours aperçu la moindre trace ; elles doivent être très loin d’ici, plus profondément dans les terres. En tout cas, nous saurons où elles ne sont pas, puisque je vois mal l’Etat-Major bombarder ses propres troupes. Nous marquons approximativement, sur une des cartes que nous avions volées avant notre départ. Ce qui me fait soudain penser qu’avec notre road trip, l’urgence permanente, nous avons complètement laissé de côté tous les papiers que nous avons volés en ville. Ils étaient pourtant là, rangés avec le reste, dans leur petit sac, ne pesant rien ; peut être pour ça que je les ai oubliés d’ailleurs. Maintenant que nous sommes relativement loin de la ville, dans des circonstances un peu plus favorables et serines, je me dis que nous pouvons prendre ce temps là. Je me pencherai dessus demain quand j’aurais de la lumière naturelle, J’ai peur de rater des détails en les étudiant à la lumière d’une lampe-torche.
Pour le moment, Daphné est occupée à marquer aussi précisément que possible les zones bombardées par l’armée sur une des cartes que nous avons récupérées, pour essayer d’y voir plus clair sur les chemins que nous prendre ou non vers l’ouest. Si nous persistons dans cette direction bien sûr. Mais il faudra bien considérer nos stocks potentiels de nourriture à récupérer sur le chemin, ce qui paraît moins jouable dans des villes détruites par les bombes, nous forçant donc à d’innombrables détours par des petits patelins satellitaires, pour le moment epargnés.
C’est une émotion étrange, d’être assise en haut d’une colline, installée comme pour une nuit de camping avec Eric et Daphné, ponctuellement illuminé.e.s par l’éclat des bombes qui déchirent la nuit à intervalles réguliers, aux sons des avions qui passent très bas au dessus de nous. . Une sorte de fascination mêlée d’horreur pour la beauté des flammes, aussi sauvages que civilisées. Et cette question qui me taraude : combien de personnes jusque là sauves sous ces bombes ?
Après tout, nous sommes parti.e.s du principe que tout le monde dans cette zone avait été infecté. À quel point avions nous tort ? De quoi allons nous être témoins si nous arrivons jusque là ? Qu’allons nous donc pouvoir raconter à qui voudra bien nous entendre si jamais nous survivons à ce voyage ?
J’ai très peur, en y réfléchissant, que nous nous soyons embarqués dans quelque chose de bien trop ambitieux pour nos moyens. Il faut aussi nous préparer à l’option de devoir rebrousser chemin, faute de ressources, ou sous la pression des militaires.
Jour 89 – 29 Juin
10h20
Nous avons donc pris le temps de parcourir les documents volés. Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous avons bien fait. Et je m’en veux terriblement de les avoir oubliés. Nous avions terriblement sous-estimé la gravité de la situation.
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