On était planquées, et puis d’un coup des soldats, partout, tout autour de la ferme. Ils se sont mis à tirer. Nous on a à peine eu le temps de partir, en rampant, du seul côté qui avait l’air sans danger. On savait pas quoi faire à part rester par terre, en se bouchant les oreilles. Et puis d’un coup c’est devenu plus calme, on s’est dit que ça allait aller. Fanny a juste levé la tête du buisson où on était. Et en fait non, c’était pas calme. Un petit groupe de soldats avait fait le tour de la ferme pour essayer de piéger des soldats ennemis je crois. C’est là que Fanny a pris une balle. Juste entre le cou et l’épaule. C’est pour ça qu’elle peut pas écrire là. Je raconte parce qu’elle m’a demandé. Même si ça fait hyper mal, c’est pas trop grave elle me dit, parce que la balle a juste traversé. On a eu de la chance, elle a pas crié, même si avec le bruit des fusils je sais pas s’ils nous auraient entendues.
Et puis les soldats sont passés pas loin de nous. Ils savaient pas qu’on était là je pense. Sinon ils nous auraient vues, parce qu’ils nous auraient cherchées. Leur objectif, c’était la ferme. J’ai aidé Fanny à ramper encore plus loin dans la forêt, en faisant gaffe aux soldats. Mais ils étaient trop occupés à se battre pour nous voir. Donc là je sais pas où on est, mais ils sont plus là. On les entend encore se battre, mais on peut plus les voir. On a descendu une grande pente pour essayer de se cacher. Faut qu’on se repose, Fanny elle dit. Et puis après on retournera vers la ville ou un village, peut-être, pour la soigner et pouvoir chercher Eric après. Ou l’attendre. J’ai peur.
???
Sais pas trop où suis. Reparti arrière, comme dit, et puis croisé militaires, partout, tout le temps. Tellement peur obligé faire détours en permanence. Passé heures par terre, sans bouger, à peine respiré. Épuisé. Sais plus trop par où aller. Plus très sûr directions. Sûrement opposé coups de feus.
Vais aller par là, espère pas faire fausse route.
Jour 95 – 5 Juillet
11h00
Bon, à force de faire des détours dans tous les sens, on a réussi à retrouver une cachette pas trop mal, dans un petit village en marge de notre parcours de départ. Daphné est vraiment pas à l ‘aise à l’idée de consigner ses pensées dans le carnet, alors je me fais violence. Mon bras fait déjà nettement moins mal ceci étant dit, même si je suis obligée de bien prendre mon temps pour écrire. J’ai eu une chance insolente, il faudra qu’on soit bien plus prudentes à l’avenir si on doit encore se retrouver au milieu des tirs. Rester au sol et camouflées au mieux tant qu’on est pas absolument certaines d’être seules dans le coin. On est à l’écart des affrontements maintenant, je suis sûre qu’on est vraiment le cadet des soucis des soldats, d’un camp comme de l’autre. Beaucoup plus de mouvements de véhicules, tant terrestres qu’aériens dans les deux derniers jours, comme une soudaine escalade. On entend régulièrement des coups de feus claquer depuis les cieux, sans trop savoir à qui ils sont destinés.
Je sais pas trop ce qu’on devrait faire maintenant. Il faut bien admettre que nous sommes désormais piégées sur le théâtre des opérations. L’infection n’est qu’une arme de plus dans leur arsenal, finalement. Aussi inoffensifs soient les infectés pour des militaires bien équipés, leur nombre et leur imprévisibilité font qu’ils ralentissent forcément la progression au sol des équipes mobilisées, sans compter la perte de main d’œuvre et l’impact sur le moral. C’est diabolique, et terriblement cruel. Si ce pays agresseur a effectivement déployé son agent infectieux à plusieurs endroits du pays, je ne vois pas comment notre armée a la moindre chance de sortir gagnante du conflit. Et même si nous devions l’emporter, comment nous en relever… Je ne suis plus très sûre d’avoir envie de connaître le fin mot de cette histoire. Je vais voir avec Daphné, mais tout cela sent fort un changement de plan aussi radical que définitif. Et putain, où est Eric ?
16h00
Bon. On s’était mises d’accord pour partir plein sud, de là où les avions et les troupes ne viennent pas, contrairement au nord et l’ouest. Et évidemment, l’est n’est plus une option. Notre petit village était désert, donc tranquille ; on s’est permis de monter dans le clocher de l’église pour avoir une vue aussi claire que possible des alentours afin d’être sûres de prendre la bonne décision.
Ils sont absolument partout. Venant de l’ouest en masse, l’armée ennemie, entièrement habillée de noir, sans aucun signe distinctif, déployée en une multitude de groupes de tailles variables sur tout l’horizon ou presque. Et de tous les autres côtés, d’autre groupes plus identifiables appartenant à »notre » armée. Donc nous sommes coincées, pour de bon. Quasiment aucune chance de pouvoir avancer sans prendre le risque d’autres balles perdues ou de simplement se faire abattre à vue ; ou capturer, si on est optimiste. Nous sommes piégées ici.
Seule bonne nouvelle, un magasin d’alimentation générale est toujours debout et rempli, avec pas mal de stock. On va se trouver une maison et faire une vraie pause le temps de voir ce qui nous reste comme options. Les troupes mobilisées au sud n’ont pas l’air d’être motorisées, cela nous laisse sans doute quelques jours. Profitons un maximum de ce petit moment de tranquillité forcée.
Et espérons qu’Eric retrouve un chemin sûr jusqu’à nous. Je commence à être terriblement inquiète.
???
Pas réussi à être aussi discret que voulu. Milieu de nulle part, forêt, tombé nez à nez avec soldat ennemi déserteur je crois, ou mission spéciale peut-être. Pas eu le temps savoir. Dû le tuer. Seule chance, avoir eu peur de moi, laissé ouverture pour attaque. Apparence infectée ou couleur peau ? Prêt à me tirer dessus en tout cas, pas eu le choix. Souvenir regard terrifié et haineux pendant que l’étranglais. Arrive pas à oublier. Pas comme tuer infectés avant bascule. Mais pas eu choix. Lui ou moi.
Sais même plus ou suis. Nuit tombée, juste lampe et quelques réserves bouffe encore sur moi mais besoin urgent trouver vraie planque. Récupéré boussole dans ses affaires. Vais repartir sud-est. Me semble meilleure solution retourner vers ville en faisant grand détour pour éviter soldats. Mais très peur pas retrouver filles. Quel con.
???
Drones partout, tout le temps maintenant. Soldats partout aussi, qui se tirent dessus en permanence. Sais pas si réussis être discret ou si eux rien à foutre moi. Ai du en éviter plusieurs dizaines je crois. Bientôt la nuit, vais en profiter pour continuer à avancer. Avantage compas militaires, lumières très visibles, évidentes à éviter. Mais de plus en plus. Force à bouger en rampant, parfois faire très longs détours. Sens fatigue terrible venir. Bientôt plus de papier pour écrire non plus. Crois vais économiser espace restant pour infos essentielles, au cas où.
Jour 97 – 7 Juillet
18h00
Il est presque amusant de noter que nous avons repris un rythme beaucoup plus tranquille, planquées dans notre petit patelin. Les drones, les avions, les hélicoptères ou les soldats ne viennent jamais nous embêter, comme si l’endroit était exempté des troubles de la région. Ne nous mentons pas, nous finirons bien par être submergées, par un côté ou par l’autre. Mais pour le moment, les deux armées semblent se calmer et avancer à pas mesurés. Ce qui nous laisse du temps pour nous détendre – dans les mesures permises par les circonstances, certes – et voir venir la menace ; et donc de prévoir notre plan de fuite.
Puisque oui, clairement, nous n’avons plus le luxe d’espérer autre chose que la fuite. Nous n’avons pas d’armes, de moyens techniques ou quoi que ce soit pour lutter. Il va nous falloir renoncer à de quelconques explications et simplement œuvrer pour notre survie.
Un sacrifice minime au vu de tout ce que nous avons déjà du traverser tous ensemble.
Contrairement au sacrifice d’Eric, auquel nous nous résignons un peu plus chaque jour qui passe. Il est parti depuis si longtemps maintenant…
Jour 98 – 8 Juillet
12h20
Les plans vont ENCORE devoir changer. Nous venons de capturer un soldat.
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