Franchement, c’était dégueulasse. Je sais pas si vous avez déjà fait une cryo-stase, professionnelle ou non, mais moi qui en aie faite une à l’époque de mon service, même avec des produits de qualité et un encadrement médical compétent, c’est vraiment pas un moment agréable à passer. L’idée, telle qu’on me l’a expliquée, c’est de mélanger votre sang avec un produit de synthèse, pour ralentir l’entièreté de votre système sanguin et »endormir » votre corps tout entier, jusqu’à la limite de la mort. En gros, ça vous met en pause, et le produit est rempli de tout un tas de trucs qui vous nourrissent et stimulent votre corps de l’intérieur, histoire d’éviter les dégâts liés à l’atrophie, l’hypothermie, la sous-nutrition, et donc, à terme, la mort.
Quand vous faites ça bien, vous êtes dans un joli caisson, avec tout plein de capteurs et de machineries pour vous réveiller en cas de problème détecté par, au pire l’IA, au mieux le médecin qui s’occupe de vous. Dans ce cas là, une petite purge du système sanguin, un casse-croûte, une nouvelle injection, et on repart pour un cycle ; c’est hyper douloureux, terriblement humiliant, passablement crade – je vous épargne les détails – mais c’est sans danger. Quand vous faites ça vous-même, par contre… ah c’est clairement pas la même limonade. Il faut se faire les injections soi-même en luttant contre l’évanouissement, ou alors se shooter avant pour ne pas sentir la douleur, au risque de perdre en lucidité et de se rater, sans aucun contrôle, et souvent sans l’équipement adéquat ; sans compter qu’il est très compliqué de se procurer un cryo-gel de qualité, et je ne parle pas des questions légales.
Tout ça pour dire que c’était pas compliqué de comprendre que notre copain le burrito bleu était de toute évidence passé par la case désespoir pour tenter une cryo-stase maison aussi risquée, le mettant dans un tel état de détresse. Il était complètement à poil, les vaisseaux sanguins dilatés à l’extrême, à fleur de peau, épaissis par le gel, avec une sacrée quantité de traces de piqûres dans la saignée des deux bras, un cathéter posé complètement à l’arrache, et des poches de son propre sang scotchées autour de ses cuisses, maintenues au froid par des cryo-bandes médicales. Et à voir tout le matos dans les mains de mes collègues, sorti d’un petit sac en surplast, j’ai compris que le monsieur avait tout prévu ; il s’était enroulé dans la couverture de survie avec tout ce qui était nécessaire à sa réanimation et était parvenu à se caler je ne sais-comment entre la cloison de la soute et celle du vaisseau, à la fois pour s’assurer d’être totalement immobile et facilement visible. Il voulait qu’on le trouve et qu’on le sorte de sa cryo-stase ; il devait se douter que son vaisseau finirait par être abordé.
Il avait fait preuve qu’une telle prévoyance que j’ai fini par voir que Cap’ avait trouvé, au milieu de tout ce bordel, au moins 5 kilos de matériel médical – de qualité, d’ailleurs – une notice explicative de comment le sortir de sa cryo-stase, avec même des petits dessins faits à la main, expliquant certaines des procédures à suivre ! Elle l’avait dépliée à côté d’elle, un genou dessus pour qu’elle ne s’échappe pas et reste bien à plat, partageant son attention entre la marche à suivre et l’état du patient. Larsen, sans doute dépassé par les événements, et je ne lui jette pas la pierre, se tenait accroupi, à côté, et ne faisait rien d’autre qu’attendre. Pendant notre absence, iels avaient donc étudié la procédure.
J’étais sûr que notre non-cadavre allait bientôt en devenir un, finalement ; une cryo-stase sans staff médical, même avec un guide pour débutants, c’est du suicide dans 80% des cas. Mais Cap’ n’est pas du genre à se laisser abattre, surtout quand il y a une histoire bizarre dont elle veut tout comprendre. Donc quand elle a pensé être au point sur la marche à suivre, elle s’y est mise sans douter un seul instant, en nous faisant signe de contribuer quand elle en avait besoin, assurant le reste. Je vous passe les détails, parce que c’est pas nécessaire de virer dans le sensationnel ou le gore. Disons juste qu’il y a eu du fluide corporel en quantité, des mains sous le nez et des haut-le-cœurs. Beaucoup de haut-le-cœurs. Mais je l’ai déjà dit, on est des pro – surtout Cap’ – donc on a fini par réussir à le stabiliser, dans un silence complet, ce qui, quand même, n’était pas un mince exploit. J’admets, le guide était bien foutu.
Et puis on est resté là quelques secondes, à plus trop savoir quoi faire, complètement désarçonnés par la situation, pour ma part en train d’imaginer comment j’allais bien pouvoir raconter ça dans mon prochain stop dans un bar de spatio-port sans passer pour un mythomane. Et puis j’ai renoncé, j’ai secoué la tête, et j’ai suggéré par un mime dont je reste particulièrement fier de porter notre nouveau copain dans notre infirmerie histoire de le remettre sur pied et pouvoir peut-être avoir le fin mot de cette histoire. Cap’ a acquiescé, a chargé Andro de le porter, et m’a fait signe de faire un dernier tour de fouille, pour la forme ; avant de repartir, suivie par Larsen. Oui, on est très fort en mimes ; les soirées peuvent être longues dans l’espace.
Pour être honnête, sur le moment, j’avais surtout envie de les suivre pour pouvoir discuter un peu de ce qu’on avait vu avec Andro et des décisions qu’on avait à prendre, sans parler de la flemme d’encore fouiller la soute en étant persuadé de ne rien trouver. Et puis, j’sais pas, j’ai eu une de mes rares illuminations, me disant que si notre copain était le seul être vivant à bord, il devait forcément avoir la clé du poste de pilotage sur lui, ou alors pas loin. Ç’aurait été trop risqué de la planquer ailleurs en cas d’urgence ; en tout cas c’est ce que j’aurais pensé à sa place si j’avais été assez taré pour m’administrer une cryo-stase en solo. Du coup, j’ai vraiment pris le temps de fouiller la soute, en soulevant des caisses et tout, en tapotant les cloisons pour détecter des creux, ce genre de trucs. Évidemment, j’ai rien trouvé. Et puis j’ai failli trébucher sur le matos médical qu’on avait laissé en plan au milieu de la pièce, et je me suis dit que ça faisait une sacrée quantité. Et qu’après tout, Cap’ et Larsen avaient dû galérer à le sortir de derrière la cloison, il était pas impossible que quelque chose soit tombé pendant qu’ils le tiraient de là. En toute logique, le matériel nécessaire à sa survie était sécurisé, mais le reste étant subsidiaire, il y avait peu de raisons de le garder sur lui de la même façon. Après tout, pour retrouver ce qu’il possédait, il fallait d’abord le retrouver lui.
Du coup, je suis allé me tortiller derrière la cloison qu’il avait décollée de la paroi du vaisseau avec ma petite lampe torche porte-bonheur, jusqu’à faillir déchirer ma combinaison, et la peau en dessous, sur un morceau de métal abîmé qui dépassait. J’ai un peu grogné, je suis passé à deux doigts de lâcher une belle injure plus d’une fois, mais j’ai fini par réussir à pouvoir regarder correctement.
Et bingo, un autre sac en surplast, littéralement collé à la paroi, tout au fond, que j’ai réussi à récupérer du bout des doigts, cette fois ci en m’écorchant l’avant bras en me relevant. Je me suis fait super mal, mais j’étais trop fier de moi pour réellement souffrir. Sans compter qu’un coup de médispray, et c’était comme si de rien n’était.
J’ai empoigné le sac, sans regarder dedans, pour garder la surprise collective, et je suis reparti vers le sas, et notre vaisseau.
Je suis arrivé dans l’infirmerie avec un grand sourire et l’air conquérant, en plein milieu d’une discussion animée entre Cap’ et Larsen. Tombal était là, probablement parce qu’on lui avait demandé, mais s’en foutait ostensiblement, et Andro regardait avec une distance prudente, sans doute par peur de s’impliquer. Notre copain ne disait rien, parce qu’il était dans le coma, même si son état était clairement meilleur. J’ai d’ailleurs remarqué qu’il n’avait pas vraiment l’air d’avoir trop souffert de sa cryo-stase ; il n’avait pas eu à y rester si longtemps que ça, ou alors son cryo-gel était de très bonne qualité. Mais bref, j’ai pas vraiment eu le temps d’ y réfléchir plus que ça, puisque malgré les décibels, ma petite trouvaille a instantanément capté l’attention de notre chère Capitaine et a mis fin au débat, dont je n’avais pas capté la teneur. Elle a un instinct comme ça, autant qu’un certain sens des priorités.
Et je lui ai quasiment balancé sous le nez : nul doute que ç’a un peu joué aussi.
Fidèle à elle-même, elle n’a pas pris la peine de poser la moindre question ; elle travaille à la confiance et nous estime suffisamment intelligents pour savoir quand faire notre rapport sans avoir à le solliciter. Ce que j’ai fait, bien entendu, parce que ç’aurait été dommage de la décevoir. Elle a récupéré le sac et sans plus de cérémonie, en a renversé le contenu sur la table de chevet à côté du lit.
Des cartes de crédit fédérales, des papiers d’identités et la clé magnétique du poste de pilotage, pour ne parler que des bonnes nouvelles. Tous les documents officiels étaient des vrais, propres et sans mesures de protection, le genre que les pirates comme nous préfèrent ; parce que les gens qui les utilisent ne pensent jamais nous croiser et préfèrent être pingres. À leur décharge, une assurance vol et piratage sur des cartes d’identifications fédérales ou des cartes de crédit, c’est très cher. Mais s’il y a bien une leçon que l’espace vous apprend très vite, c’est qu’il ne faut pas être radin quand il s’agit de se protéger. On avait pas de quoi les pirater ni en contrôler le contenu à bord, ceci étant dit, donc la nouvelle n’était que potentiellement bonne. Quant à la clé magnétique, on a vite déchanté, parce qu’elle, pour le coup, était protégée en utilisation par un loquet biométrique complet. Sans doute que l’équipage avait payé plein pot pour ça et n’avait pas eu les moyens de payer le reste ; il avait fait des choix. On était pas beaucoup plus avancé, donc, on avait besoin de notre copain bien vivant et opérationnel pour nous ouvrir la porte ; parce que si on essayait de gruger le système, on risquait encore l’auto-destruction du vaisseau, et on pouvait s’asseoir sur notre butin. Autant dire que ce n’était pas une option acceptable.
Et dans le rayon des mauvaises nouvelles, un espèce de bidule en métal poli, de la longueur d’une main et demie, de quelques doigts de largeur, tout plat, avec des symboles bizarres dessus, ni en relief, ni en creux, tous lisses, des deux côtés. Aucune foutue idée de ce que c’était. Ça avait l’air précieux, ça oui, et ça devait l’être, puisque c’était planqué avec le reste des possessions les plus coûteuses de notre copain.
Et si je dis mauvaise nouvelle, parce que j’admets que c’est pas nécessairement évident, là comme-ça, c’est bien que ce truc nous a porté une poisse monumentale, ou en tout cas nous a mené à un tas, et j’insiste là-dessus, un tas de très mauvaises décisions. À commencer par celle de ne pas balancer le burrito par le sas et de nous barrer n’importe où ailleurs que dans ce maudit coin d’espace.
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