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Impossible Planète – Episode 17

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C’est marrant, l’épiphanie nous est venue collectivement. On s’est mis à regarder vers le ciel comme des cons, comme si on espérait pouvoir apercevoir la carlingue du vaisseau automatisé à travers les nuages. Ce qui nous a permis de nous rendre compte qu’on avait pas encore réellement vu à quoi le ciel ressemblait, dans le coin. L’atmosphère d’une autre couleur que le bleu, vu de la surface, c’est assez habituel, quand on a suffisamment voyagé à travers l’espace, tout comme les brumes d’altitudes. Mais comme pour tout par ici, il y avait quelque chose de très curieux dans ce que nos regards nous offraient. Comme un sentiment d’artificialité qui dominait tout le reste.
Comme si tout ce qui nous entourait avait été dessiné par une enfant techniquement extrêmement doué mais très naïf dans son approche. Pas tant une impression trop forte de perfection qu’un manque d’imperfections, comme si tout était trop beau pour être vrai. Alors qu’on ne pouvait pas discerner la surface intérieure de l’étoile, d’ici, et qu’il n’y avait pas de soleil ou d’étoiles lointaines pour nous éclairer le moins du monde. Par un étrange phénomène qu’on ne pouvait pas s’expliquer, le ciel était juste là, simplement d’un gris uniforme, comme un jour de pluie trop motivé à faire son travail pour être morne. Et pourtant, il faisait jour, en tout cas la lumière ambiante en donnait la parfaite illusion, sans qu’on parvienne à déceler la moindre source visible pouvant le justifier.
Juste un manque de repères habituels, finalement. Il nous aurait fallu quelque chose de réellement normal, pour pouvoir nous y raccrocher et faire cesser le malaise ou l’envie de ravaler nerveusement notre salive toutes les 20 secondes. Le cocktail cognitif de marrons et de gris, de mouvements de machineries et d’immenses immeubles immobiles n’avait rien d’extraordinaire, à proprement parler, mais il nous agressait presque par ses aspects trop lisses. On l’avait perçu dès notre arrivée, comme le reste, mais on n’avait simplement pas pris le temps de tout intégrer pleinement ; le malaise était simplement monté progressivement en nous jusqu’à devenir inévitable, et insupportable. Et il s’était manifesté par l’absence d’Hector, le symbole ultime du chaos au milieu de l’ordre habituel. La proverbiale goutte d’eau.
Et pas moyen de le joindre, ni de le voir. Pour le moment on l’avait perdu, pour la simple et bonne raison qu’on avait passé un bouclier brouilleur sans nous en rendre compte pendant que le filet gravifique nous happait. Pas de preuves directes, mais les signes étaient à peu près les mêmes qu’en condition normale sur nos appareils de communication.
Où que nous soyons arrivé·e·s, les ondes ne passaient plus vers l’extérieur. On n’avait plus qu’Achille sur nos talons (je suis trop marrant). Pas un drame en soi, juste une contrariété dont on se serait bien passé, sachant à quel point Hector avait pleinement intégré son importance pour le moral de l’équipage dans ses procédures. Ses blagues étaient souvent (volontairement) nulles, mais rien que les réactions désabusées qu’elles provoquaient chez Tombal nous assuraient de grands moments de détente. Ça renforçait nos liens quoi.
Et d’où on était, on ne pouvait rien y faire. Achille nous a très vite indiqué qu’il essayait de trouver une solution, mais le système informatique présent sur toute la surface de la planète semblait répondre à des logiques internes complètement différentes du nôtre, bien évidemment ; et il peinait n’était-ce qu’à accrocher des signaux tellement il était perdu. Et trop occupé qu’il se projetait à devoir nous guider et cartographier les lieux ou tenir les registres de nos découvertes, il ne pouvait allouer qu’une toute petite partie de son processeur à tenter de décrypter les ondes qui nous entouraient. Il allait falloir faire ça un peu à l’ancienne.
Le verdict était aussi évident qu’implacable, il fallait simplement se mettre en route, et aviser.
Donc on s’est mis en route. Et ça, on a dû aviser. Et pas qu’un peu.

On avait pas vraiment le choix pour commencer notre exploration, ni de véritable objectif. Enfin si, on visait grosso modo la Tour, mais c’était sans réelle conviction. On n’avait que deux petites semaines devant nous pour trouver des éléments suffisamment pertinents nous permettant de valider notre paternité de la découverte de la planète, genre la compréhension suffisante d’une partie de son fonctionnement, quelque chose comme ça, un truc qui s’improvise pas, quoi. Notre espoir était surtout que la Fédération soit la première sur place pour pouvoir tout valider sans l’ombre d’une protestation par une tierce partie malveillante, mais après tout, la télécommande en notre possession avait été ramassée par la Firme quelque part dans le coin.
Et si vous vous demandez, là, comment la Firme avait réussi à effectivement la récupérer dans le coin sans repérer la planète, vous gagnez un bon point pour avoir bien suivi ; que vous perdez immédiatement pour avoir osé m’interrompre et être en avance sur le planning narratif que j’ai mis en place. Bande de garnements, vous devriez savoir que la curiosité est un vilain défaut.
Mais n’ayez crainte, pour ça aussi, j’aurai une réponse à vous fournir. Mais plus tard ; s’agirait de pas rajouter de la confusion sur le bordel ambiant.
Bref !
Notre  »porte d’entrée », si je peux l’appeler comme ça, était donc une gigantesque arche qui bordait la zone d’atterrissage, toute de ce métal qu’on voyait absolument partout, un alliage qui pesait lourd sur les yeux tellement il semblait dense et solide ; d’un brun profond tirant sur le rouge, évoquant des temps anciens qu’on aurait essayé de remettre au goût du jour. Encore quelque chose qui participait de l’étrangeté de l’endroit, d’ailleurs, puisqu’on arrivait pas à déterminer s’il était extrêmement vieux et bien conservé ou simplement neuf avec une touche vintage.
Mais vous comme nous, personne n’était là pour une revue d’architecture, donc, bien engoncé·e·s dans nos scaphandres et armé·e·s jusqu’aux dents, parce qu’on est jamais trop prudent, nous avons fini par enfin franchir l’ultime frontière. Un soupir collectif a résonné dans tous nos casques dans une étrange harmonie au moment de tou·te·s poser le pied de l’autre côté de la ligne imaginaire séparant le terrain vague du territoire de la ville. Le symbole de l’entérinement de notre décision d’aller jusqu’au bout avait eu raison de notre réserve habituelle. Même Tombal, qui était resté dans le vaisseau pour continuer d’apprêter le vaisseau, avait laissé échapper son souffle retenu pendant quelques secondes. Il avait beau travailler dans son coin, il surveillait vaguement les moniteurs et les comms du groupe et aidait Achille à bien prioriser ses tâches, quand même. Un facteur humain, c’est toujours utile.
On était perdu, pour être tout à fait honnête. Malgré leurs formations technico-scientifiques, Larsen et Burrito étaient pas du tout formés à ce genre d’expéditions. On voulait tout voir, tout toucher, mais on se doutait que la moindre mauvaise manipulation pouvait être synonyme d’une catastrophe complètement inattendue. Après tout, on n’avait pas détecté le filet gravifique ou le bouclier brouilleur en pénétrant l’atmosphère ; on était incapable d’interpréter le moindre signal dans l’infinité d’ondes qui parcouraient la surface de l’endroit, il fallait la jouer tranquille et fine, au moins le temps qu’Achille réussisse à percer quelques secrets des communications des systèmes présents, qui semblaient communiquer en permanence entre eux, ou du moins produire des discours électroniques, pour ce qu’on en savait.
C’était assez décevant, à vrai dire. Toujours ce même sable argileux qui crissait sous nos pieds à chacun de nos pas, produisant parfois un curieux petit bruit de succion qui vibrait dans nos scaphandres, inlassablement les mêmes bâtiments construits en blocs sur le même modèle trapézoïdale, allongés si loin vers le ciel qu’on peinait à en voir le sommet, les bases collées les unes au autres sans le moindre espace entre eux, n’en gagnant péniblement qu’avec la hauteur. Toutes les portes et les fenêtres fermées, quasi hermétiquement, ne laissant que parfois deviner leurs minces silhouettes grâce aux dépôts d’une épaisse poussière qu’on devinait presque gluante, collante, encore et toujours sur ce même foutu métal qui ne faisait pas assez exotique à notre goût.
Alors oui, ce n’était évidemment qu’une première sortie de pure reconnaissance, mais c’était terriblement frustrant. On était sur une planète hypothétiquement purement artificielle perdue au cœur d’une étoile à interrupteur, dans un coin paumé de l’espace Fédéral, et on se baladait dans ce qui ressemblait à une banlieue de planète dortoir, admettez qu’on aurait les boules à moins, quand même ! Au bout d’une demie-heure de marche tout droit sans interruption, rien à signaler, pas une étrangeté valable à se mettre sous la dent, pas un seul élément qui dénotait de l’ensemble. Toutes les rues, la même largeur, la même longueur ; blocs identiques de bâtiments identiques, les uns après les autres, une infinie addition de carrés, le genre qui vous fait vous demander si vous ne tournez pas en rond. Heureusement qu’on avait Achille et Tombal dans nos oreilles pour nous guider, ou plutôt nous rassurer. Personne ne l’a dit à haute voix, d’ailleurs on ne disait rien tellement on était dégoûté, mais on aurait pleuré pour une simple putain de fontaine à une carrefour. Excusez la vulgarité.
Et puis finalement, la délivrance. Juste un sillon, repéré par Andro, discret, tracé dans le sable d’une rue sur notre droite, comme la queue d’un serpent qui se serait débrouillé pour filer droit. Dans d’autres circonstances, on y aurait même pas fait attention, mais je vous jure que c’était dingue, cette saleté de ville était trop propre, trop immaculée. On aurait pu avoir l’impression que quelqu’un avait fait le ménage juste avant notre arrivée, le sable avait l’air d’avoir été balayé par un maniaque du rangement en mal de reconnaissance ; j’aurais pas été surpris de voir un type bouder à un coin de rue parce que personne l’avait félicité pour son travail. Blague à part, le sillon lui-même était louche, lui non plus ne semblait pas pouvoir souffrir de la moindre imperfection. Net, droit, comme s’il faisait partie du paysage et n’était pas une anomalie.
Faute de mieux, toujours doucement, en procédant comme en zone de combat, en scannant régulièrement les environs, on a commencé à le suivre. Deux bonnes nouvelles à ce moment là, non, trois. La première, on se faisait subitement nettement moins chier, ce qui est toujours un plus. La deuxième, les environs semblaient toujours sûrs. Mais surtout, troisième et pas la moindre, la topographie des lieux commençait enfin à évoluer. Pas de beaucoup, hein, pas encore de raison de sortir le champagne, mais le changement de rythme était plus que bienvenu, tout de même ; la monotonie, ça lasse, et lassitude, ça endort. Si on voulait repérer quelque chose de crucial, il fallait qu’on soit à bloc, la peur d’une connerie nous avait crispé·e·s au delà du raisonnable.
Au bout de deux blocs, on a commencé à réellement sentir le changement autour de nous, on avait dû changer de quartier. Des bâtiments nettement plus modestes en taille, mais plus fantaisistes, osant plus de choses dans leurs formes, avec ce qui ressemblait à des terrasses, des colombages, et des portes avancées. Toujours dans cet étrange métal, évidemment, mais il ressortait de ces changements architecturaux une ambiance bien plus positive qui se ressentait jusque dans la rue, avec des affleurements ressemblants à des bancs et des petites alcôves entre certains bâtiments. On respirait nettement plus, visuellement, tout simplement.
On osait encore rien toucher, évidemment, mais on s’est un peu détendu, à la simple idée de ne pas avoir à subir éternellement les mêmes décors tout au long de notre exploration. Un rapide coup d’œil à la cartographie express d’Achille nous indiquait qu’on avait couvert qu’à peine quelques kilomètres, malgré notre bon rythme sur la dernière heure. Faut dire que le silence était vraiment pesant, à peine troublé par les vibrations et bourdonnements sourds permanents de l’endroit, atténués par nos scaphandres ; leur niveau protection exige malheureusement quelques sacrifices à la pure praticité.
Et puis le sillon s’est interrompu, en plein centre d’un carrefour. Comme ça. Notre petite piste était morte aussi vite qu’elle était née, et on s’est senti un peu bête, pour être tout à fait transparent. Andro était tellement frustré qu’il était à deux doigts de balancer un coup de pied dans le sillon, pour se défouler, se retenant juste à temps. On a particulièrement pris conscience à ce moment précis d’à quel point on était dépassé par ce qu’on vivait. Malgré toute notre préparation et les réflexions qu’on avait pu mener, on n’avait aucune foutue idée de ce qu’on était censé faire, en vrai.
On voulait faire les choses bien, honorablement, comme si ça allait pouvoir rattraper des années et des années d’illégalité, comme si d’un coup on allait pouvoir devenir respectables, alors que tout partait d’un vol complètement fortuit. C’était aussi présomptueux que pathétiques. Et puis on était des pirates, merde ! On s’était même mis à dos deux corporations bien plus grosses que nous à la fois dans cette aventure.
Je vous passe évidemment les détails de la rapide conversation qu’on a tenue entre nous, avec Tombal à distance, mais notre décision s’est faite très vite à partir de ce constat désabusé.
Les pirates, ça joue pas selon les règles. On avait moins de deux semaines devant nous pour récupérer un maximum d’infos utiles et de matériel sur l’endroit, puis on se cassait et on essayait de revendre notre savoir au plus offrant pour nous planquer et vivre de notre rente tant que c’était possible. Tant pis s’il fallait piller le moindre centimètre carré de cette saloperie de planète impossible dans le processus. Et puis c’est pas comme si on risquait d’endommager durablement l’endroit, qu’on s’est dit, les portes, les fenêtres, ça se répare, on est pas des barbares, non plus.
Alors on a tiré au sort parmi toutes les portes présentes, et on est allé défoncer celle désignée par le hasard pour voir ce qui se cachait derrière.
À la seconde où Andro à commencer à faire jouer la lame de son pied-de-biche dans l’interstice, on a été encerclé par une armée de drones sortis de nulle part, sans avoir produit le moindre bruit.

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