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Impossible Planète – Episode 33

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Il se leva précipitamment, manquant à peine de se prendre un pied dans l’autre, le faisant tomber lourdement contre la porte de sa prison improvisée. Il se mit à furieusement tambouriner dessus tout en parlant à Hector.

«  Tant que je te dis pas le contraire, tu continues à rester discret et essayer de contrer les tentatives de reprise de contrôle du Consortium sur ton code, d’accord ? C’est ta priorité, garder le contrôle sur toi-même. Moi, faut que je précipite un peu les événements, je crois. Si je reste là à attendre que ça se passe, je vais rater ma chan… »

Il se releva brusquement en fermant ostensiblement la bouche, comme un élève pris à papoter au fond de la classe, alors que la porte s’ouvrait devant lui, sur le visage fermé d’un des sbires basiques de Korey. Qui l’enjoignit à parler d’un laconique mouvement du menton, tandis qu’Hector s’amusait à faire clignoter la diode de l’interphone sur le mur à côté de lui pour lui parler en morse.
T… e…t…e…d…e…c…o…
Oui, ok, il avait bien reçu le message. Le morse ferait sans doute l’affaire à l’occasion ; il n’y avait plus qu’à espérer que ses geôliers étaient aussi peu éduqués qu’ils en avaient l’air ; ou que Hector saurait vraiment être discret. On verrait bien, de toute façon il allait très vite avoir autre chose à penser.

« Ouais, re-salut. J’ai réfléchi, et je me dis qu’en fait j’ai envie de parler à Korey, y a ptet’ moyen de trouver un terrain d’entente. J’me suis rappelé des trucs qui m’ont fait me rendre compte d’autres, vous savez comme c’est. »

Le type en face de lui ne bougea pas d’un millimètre, le visage plus hermétique qu’une boîte de conserve, toujours dans cette attitude ridicule de méchanceté réglementaire qui faisait beaucoup rire Agcen. Intérieurement, bien sûr, parce qu’il lui restait un peu d’instinct de conservation, quand même. Le sbire semblait attendre quelque chose, droit comme un piquet, les mains bien posées proprement sur son fusil d’assaut modèle vaisseau spatial.

« Quoique. À voir votre réaction, quelque chose me dit que vous ne savez ptet’ pas, en fait. »

Pas plus de réaction. C’était déroutant, et hautement malaisant. Agcen passa ses bras dans son dos et se mit à se balancer sur la pointe des pieds et faire vagabonder ses yeux dans la coursive, histoire de tromper l’ennui. Il était à deux fois de siffloter pour se donner une contenance.

« La famille, tout ça, sinon ?.. Non plus ? Non. Z’êtes pas causant, hein. C’pas comme ça que vous vous ferez des potes, vous savez. C’est bien, les potes. Ça permet de passer le temps, de s’amuser… Et de rire. Ça vous éviterai un grippage des muscles du visage. Je rigole, mais l’atrophie vous guette, hein, si vous restez comme ça. J’ai connu un type un jour dans ma promo, il faisait tellement la gueule, juste comme vous, et bah je vous jure qu’il a fini par rester bloqué ! Si, je vous jure que c’est vrai ! L’a eu un enfant, un peu avant la fin de notre cursus ; il nous a montré les photos, on croyait qu’il voulait tuer son gosse tout en gloussant qu’il était la plus belle chose qu’il ait jamais vu de sa vie. J’en suis encore traumatisé. La vallée de l’étrange à l’échelle humaine, terrible. Touuudidoudidoudou… Vous savez, c’est pas vraiment la peine de faire semblant hein, je vous vois subvocaliser depuis tout à l’heure, et j’ai vu votre comlink discret ; il l’est pas vraiment, vous l’avez mal installé, y a une petite ombre portée derrière votre oreille. Ah ! J’vous ai eu ! »

Il avait pas pu s’en empêcher. Dès lors qu’il était impliqué dans ce genre de duels psychologiques, il se sentait obligé de jouer le jeu à fond. Il n’avait pas vu le comlink discret, un genre de mini-prothèse couleur chair, chargée de nanotechnologies, qui se collait juste derrière l’oreille en en épousant la forme et les teintes, ni le patch de subvocalisation qui faisait la même chose sur la gorge. Il avait encore moins vu sa gorge bouger, ce qui aurait été un autre signe indéniable d’une communication en cours. Mais ces mecs là avaient toujours le défaut de la confiance, à force de se faire rabaisser par des mauvais patrons qui confondaient l’intransigeance et la cruauté, ou le caractère et l’autoritarisme. Il suffisait de les faire douter, ils craquaient systématiquement. Un bon soldat, si on lui dit qu’il a raté quelque chose dans sa liste de check-up, il sait instantanément si c’est vrai ou non, il n’a pas besoin de vérifier.
Or, lui, à la mention de la mauvaise installation de son comlink – ce qui aurait été une honte sans nom, en considérant à quel point ces petits bébés étaient automatisés – il avait levé sa main pour vérifier, juste une pauvre demie-seconde avant de se rendre compte qu’il avait été pris pour un con. Ce qu’il avait 85% d’être, puisqu’il bossait pour le Consortium ; Agcen n’avait pas eu à prendre le pari le plus risqué de sa vie. Et avait eu tout ce qui lui fallait, du coup.
Ce qui expliquait son grand sourire goguenard au moment où la crosse du fusil vint de nouveau le cueillir au niveau du nez pour le précipiter dans les abîmes d’un sommeil forcé.
Jusque-là, tout marchait comme prévu.

Il se réveilla très rapidement, alors que le responsable de la petite rivière de sang qui abreuvait ses lèvres et une de ses copines du Consortium le traînaient par les biceps, sans le moindre soin. Il ne put retenir un gargouillement de douleur qui lui valut un regard furieux de son nouveau copain. Il leva vaguement les mains dans un geste d’excuse pathétique en lui faisant son plus beau sourire, les dents rougies et poisseuses. Ce qui ne lui valut qu’un concentration plus élevée de rage dans le regard qui essayait vraisemblablement de lui mettre feu, assorti d’un grognement évocateur.
Agcen avait très envie de continuer dans la moquerie, histoire de pousser son avantage psychologique, mais son instinct de survie lui souffla la décision inverse. Il avait plus à y gagner qu’à y perdre, pour le coup ; on ne pouvait pas trop remarquer de détails utiles, quand on était inconscient ou fatigué d’une trop grosse perte de sang. Il baissa les mains et sa garde, et jugea plus sage de se laisser faire, le temps d’arriver à destination, en tout cas.
Ils traversèrent les coursives jusqu’au sas. Ils y attendirent quelques minutes dans un silence terriblement gênant, ponctué des reniflements (à peine exagérés) d’Agcen, dont le nez était probablement de nouveau cassé. Puis la navette qui allait les amener au vaisseau principal où Korey devaient les attendre avec gourmandise et impatience accosta. Il fut littéralement balancé dedans à coup de pieds au cul par ses gardes précédents, et récupéré par une nouvelle paire à l’air un tantinet plus aimable ; sans doute que ces deux là ne le connaissaient pas vraiment, encore. Ou alors ils n’aimaient pas celui qui lui avait pété le nez, aussi, c’était une possibilité qu’il lui fallait garder en tête ; semer la zizanie, c’était efficace, et il était très fort pour ça. Il tenta d’engager la conversation, sans succès. Il y avait eu briefing, sans doute.
Ce ne fut qu’une petite dizaine de minutes de voyage en navette, sur fond d’espace au travers des hublots, avec les reflets de l’étoile artificielle au loin et les échos visuels lointains de tout le voyage qu’il avait fait pour en arriver là, lui et son équipage. Rien que ce petit intervalle là fut suffisant pour lui foutre un cafard interstellaire. Fugace, certes, mais puissant ; le genre à faire verser les lames sans honte ni douleur, plutôt avec fierté et soulagement, celles qu’on a attendu de verser en se demandant ce qui avait mis si longtemps. Celles qui nous rappellent que malgré tout, on est humain, doué de sentiments, les vrais. Ceux qui font du mal et du bien en même temps.
Il était d’autant plus content de les verser qu’elles étaient sincères, bienvenues, et qu’elles servaient absolument l’histoire qu’il allait essayer de vendre à Korey. Il se laissa complètement aller sur sa banquette, mélangeant allégrement l’eau, le sel, le sang et la morve, pour le plaisir de l’abandon, et aussi pour le goût mesquin du dégoût de ses gardes. L’un des deux lui balança même un mouchoir avec un air répugné et une grimace de dédain. Agcen laissa échapper un rire nerveux qui le quitta seulement de longues secondes plus tard, le souffle court et le visage un peu plus présentable. Il se remit le nez en place, histoire de se remettre les idées en place. Il avait un travail à faire, après tout.
Puis ils accostèrent de l’autre côté de la division spatiale arbitraire qu’avait décidé Korey, sans doute craintif des capacités informatiques d’Hector ; ou simplement parce qu’il aimait prendre des décisions arbitraires qui lui donnaient un air réfléchi et prévoyant. Ou qui rappelaient qu’il était le chef, aussi. Surtout, en fait, sans doute.
Agcen se mit à intérieurement déplorer que tout était trop souvent question d’ego, dans ce monde bizarre, et que c’était dommage, quand même. Avant de se rappeler qu’il s’était fait péter le nez un quart d’heure plus tôt, justement à cause du sien, d’ego. Alors il gloussa tout seul, et se prit un coup de coude dans les côtes pour sa peine.

« Wow, hey, c’est bon, je pensais à un truc marrant, faut pas le prendre pour toi, mec, ça va. Et elle te va vachement bien cette coiffure, en plus, faut pas écouter ce que les gens disent, z’y connaissent rien. Nonononon ! Ok, c’est bon, j’me tais, pardon ! Soupe au lait… »

Les portes du sas s’ouvrirent enfin, on mit Agcen debout, avec une pression notablement plus ferme sur un de ces biceps que sur l’autre. Cet équipage était clairement à cran, pour réagir au quart de tour à la moindre provocation comme ça… Le sas fut franchi, donnant accès au vaisseau principal. On cessa alors de traîner Agcen, pour plutôt le pousser dans le bas du dos avec les fûts des fusils. Encore une fois, un message clair : fais pas le malin, ne tente rien. C’était de bonne guerre, et ce qu’ils pensaient qu’on attendait d’eux, encore une fois.
Quoique un peu exagéré, quand même, étant donné qu’il n’avait de toute façon nulle part où s’échapper à moins de réussir à neutraliser l’intégralité des trois équipages présents avant de d’éclipser à bord de son propre vaisseau puis de parvenir à lui faire parcourir une distance suffisante dans une direction suffisamment imprévisible afin d’assez longtemps parvenir à ne pas être retrouvé, pour que le Consortium décide finalement qu’il n’en valait pas la peine, et qu’il puisse finir par retrouver un semblant de vie normale.
Et tout ça, seul, en plus. Non, clairement, ce n’était pas imaginable pour l’instant, logistiquement ou moralement.
Non, il fallait se concentrer sur l’instant présent, clairement, une potentielle évasion n’était pas à l’ordre du jour. Agcen détourna donc son attention de ses turpitudes intérieures pour examiner l’intérieur du vaisseau que commandait Korey. Sans surprise, c’était clinquant, voire tape-à-l’oeil, et le confort luxueux primait un peu partout sur la praticité, faisant montre de son arrogance coutumière, oubliant par exemple qu’un jacuzzi, pendant une situation de combat, ça ne servait à rien d’autre qu’à causer des court-circuits, sans compter la facture en énergie.
De la moquette partout, des cadres au contenu d’un goût discutable accrochés à chaque cloison, voire des tapis par dessus la moquette, des pièces entièrement consacrées aux loisirs de son commandant, sans doute interdites au personnel naviguant ; ce vaisseau devait être un enfer à entretenir, et on savait très bien qui était chargé de ce genre de tâches. Pas étonnant que l’équipage soit à cran, et encore moins surprenant que les gros bras du bord saisissent à bras le corps la moindre occasion de se détendre au dépens d’un imbécile comme Agcen qui aimait trop dire des bêtises. Et aussi rendre les gens dingues, aussi, il plaidait coupable.
Quand lui et son escorte arrivèrent dans le bureau de Korey – il avait un bureau, en plus de sa cabine, ce con – ce dernier était penché sur un moniteur diffusant des images d’Agcen dans la soute, depuis le plafond, mais sans le son. De toute évidence, il essayait de lire sur ses lèvres, les yeux écarquillés, le visage contorsionné dans une attitude de concentration grotesque.
À son crédit, en voyant le trio entrer, il se reprit superbement, éteignant le moniteur et faisant pivoter sa chaise dans un même mouvement fluide, pour se retrouver derrière son énorme outil de domination sociale en bois précieux avec beaucoup trop de tiroirs et de moulures pour lui être réellement utile avec une attitude qu’il espérait digne et patronale.
La main qui pressait fort sur son biceps se crispa l’espace d’un court instant. Agcen tourna la tête vers le soldat, qui tâchait encore et toujours d’avoir l’air aussi impassible que menaçant, mais dont la narine le trahissait, victime d’un frémissement coupable. Encore une fois, c’était plus fort que lui, il lui décocha un clin d’œil complice, qui fut reçu par un surprenant et unique haussement de sourcil. Vraiment à cran. Korey devait être invivable, d’autant plus qu’il avait l’air fatigué et irrité. Sa voix manquait cruellement de conviction quand il ouvrit les hostilités.

« Paraît que t’as des trucs à me dire ?
– Euh ouais. J’ai réfléchi, et je pense qu’on peut trouver un terrain d’entente, finalement. J’ai pas très envie de rester coincé ici éternellement, et toi non plus, je pense, surtout avec moi dans les parages. Du c…
– Accouche, j’ai pas que ça à foutre. Tu sais comment ça fonctionne. J’ai les gros bras avec des flingues dans ton dos, t’as les infos, tu me les donnes, et je fais peut-être preuve de mansuétude. Allez.
– Wow, tendu. Ok. Euh, je pense savoir qui est responsable du rallumage de l’étoile, ça vous fera sans doute une piste pour pouvoir l’ét… »

L’interruption prit absolument tout le monde de court, y compris et surtout Agcen. La radio ondes courtes se mit soudain à crachoter, pour laisser filtrer un filet de voix familier qui força tout le monde dans le bureau à un silence absolu afin d’entendre clairement ce qui était dit.

« …bsolument désolée d’avoir mis tant de temps à vous contacter les gens, mais il fallait le temps que je maîtrise tout ça, histoire d’avoir la main, vous savez ce que c’est. On arrête le blabla, il est temps de précipiter un peu les choses. Ça vous dirait qu’on se rencontre, tous et toutes, dites, ce serait sympa ? On pourrait papoter, boire un coup, régler des comptes, tout ça. Allez. On dit que j’éteins l’étoile, et vous venez manger à la maison ? Ouais, on fait ça, ce sera sympa. »

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