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La vie éternelle, roman, Jacques Attali

lullaby – Against The Current (extrait de l’EP fever)

Jacques Attali est une personnalité éminemment nébuleuse à mes yeux, dont les allégeances et les positionnements au fil des années n’ont cessé de me le rendre tout à la fois mystérieux, parfois fascinant et souvent insupportable. Il fait partie de ces célébrités dont je n’arrive pas vraiment à m’expliquer l’omniprésence ou la réputation, bien que devant régulièrement saluer la pertinence de certains de ses diagnostics ; tout en grinçant des dents face aux analyses qu’il en retire et la déconnexion dont ses prescriptions font étalage. Je ne peux pas dire que je lui sois hostile pour autant, mais il est également très loin de pouvoir se vanter d’avoir mon affection ; on serait plutôt dans une indifférence méfiante.
Sauf que, en tant que libraire, quand même, j’ai croisé ses essais plus souvent qu’à mon tour, sur des sujets aussi variés que surprenants, alimentant plus volontiers ma défiance que mon indifférence, ce qui, pour le coup, m’a quand même fait le classer dans la case des prétentieux et des arrogants. À tort ou à raison, allez savoir, on a, à mes yeux, tout·e·s le droit à nos angles morts, du moment qu’on en a conscience et qu’on les fait rentrer en ligne de compte de nos analyses. Des procès d’intention, à l’échelle théorique, avec un zeste d’auto-dérision, et l’humilité de les laisser à ce stade, je pense que ça ne fait pas trop de mal, ça peut même détendre un peu d’avoir des bouc-émissaires qui restent dans une sphère purement personnelle.
Et puis… Il s’est avéré que je me suis fait une sorte de spécialité d’aller déterrer des œuvres un peu obscures de la sphère Imaginaire, autant par curiosité morbide que pour le plaisir de pouvoir dire que je me suis sacrifié pour l’équipe; Ajedhora ou Réseau Dinosaure m’en soient témoins. Donc, quand j’ai appris que M Attali s’était fendu d’un roman estampillé Science-Fiction, ma lubie s’est encore emparée de moi. Il fallait que je sache de quel bois était fait son travail de romancier, histoire d’avoir au moins quelques arguments à avancer la prochaine fois que j’allais dire quoi que ce soit à son propos, puisque sa réputation n’est plus à faire pour cielles qui le connaissent mieux que moi, en bien ou en mal.
Je vais être absolument honnête, ma plus grande crainte était que le roman soit simplement bon ou un peu convenu bien qu’honnête. Tout simplement parce que l’exercice est pour moi et cielles qui me suivent surtout une excuse pour faire du mauvais esprit à peu de frais sur le dos d’une œuvre qui défraie un tant soit peu la chronique, et que cela est difficile à accomplir quand le matériau fait juste bien son travail. Également parce que j’aurais quand même eu l’air bien bête à me lancer dans l’aventure pour devoir dire tout penaud, une fois celle-ci terminée, que j’avais eu tort de partir du principe que j’allais avoir de quoi être mauvaise langue ; mais aussi et surtout parce que si le roman avait été simplement correct ou médiocre, j’aurais cruellement manqué de choses à en dire, dans un sens ou l’autre.
Tout à la fois heureusement et malheureusement pour moi, j’en ai eu des choses à dire, beaucoup. Beaucoup trop. Je suis parti avec un maximum de bonne foi, et j’ai jugé tout ce que je croisais avec toute la sincérité du monde. Et si le premier tiers de ma lecture était ponctué de véritables bonnes surprises, la suite a été une torture ; un ennui terrible que je ne crois avoir jamais croisé à un tel point de concentration dans une œuvre littéraire. Et puisque vous êtes là pour lire une chronique construite sur ce roman plutôt que mes états d’âmes, je vous propose qu’on s’y mette.
Mais à titre d’exemple, dites-vous que le potentiel ennui que vous avez ressenti à la lecture de cette intro n’est rien, absolument rien, face à celle que j’ai ressentie à la lecture de ce roman.

Comme toujours désormais pour ce genre de lecture, je vous invite à découvrir en préambule, parallèle ou conclusion, le live-tweet de ma lecture de l’ouvrage dont il est question aujourd’hui.

Sur la planète Tantale, dans la ville d’Hitti, Golischa, jeune fille au statut proche de celui d’une princesse, orpheline de père, découvre le cadavre de son grand-père, ancien dirigeant, étranglé dans sa bibliothèque, comme deux de ses prédécesseurs. Cette macabre découverte va la précipiter vers un destin qui a été tracé pour elle des années auparavant, la menant à l’exhumation de terribles secrets expliquant l’histoire de cette étrange colonie coupée du reste de l’Empire il y a bien longtemps, bien loin de la version officielle.

Et maintenant, comment commencer, exactement ? Parce que depuis que j’ai refermé ce bouquin pour ne plus jamais ô grand jamais le rouvrir, je me retrouve à tourner et retourner les arguments de ma colère dans ma tête sans vraiment parvenir à les articuler d’une façon satisfaisante ; tout comme je n’arrive pas à m’empêcher de penser que je dois aussi avertir que le jugement que je m’apprête à formuler ne concerne que le roman dont il est question, et pas cielles qui ont pu être séduit·e·s par son contenu. Le lien qui se crée entre une œuvre et ses lecteurices est sacré à mes yeux, mes griefs ne sont jamais que les miens, et malgré tout ce que je vais pouvoir en dire de mal, ce roman a d’indéniables qualités, qui ne sont simplement pas assez nombreuses ou prégnantes pour être parvenu à me séduire ni me convaincre.
Commençons donc par ces qualités, peut-être, avant de nous appesantir sur les bien plus terribles défauts.
Pour son premier roman (il ne faut pas l’oublier, après tout), Jacques Attali écrit bien, avec un usage précis d’un vocabulaire riche ; et il est clair que son roman est le fruit d’un long travail de préparation et de recherche, rempli assez généreusement de références historiques et littéraires, avec une structure qui dénote d’une réelle ambition, voire de plusieurs.
Voilà.

Sauf que ces qualités n’en sont très vite plus, dès lors qu’elles se satisfont de leurs seules existences et transpirent d’une assez dommageable arrogance. À cet égard, je vais m’appuyer sur l’introduction au roman, dont je ne saurais dire si elle est née de la maison d’édition seule ou avec la complicité de l’auteur, et sur l’exergue du roman, qui est, pour le coup, à attribuer à Jacques Attali sans l’ombre d’un doute. Dans l’optique où je juge toujours les ouvrages que je lis à l’aune des ambitions qu’ils affichent, vous allez comprendre que celles qui étaient étalées devant moi ne donnaient que peu de chances à ce roman de trouver grâce à mes yeux.
J’ignorerai la première partie de cette introduction qui fait le portrait de l’auteur par ses accomplissements et ses diplômes, à la rigueur, malgré le côté prétentieux, c’est de bonne guerre, d’autant plus qu’éditorialement parlant, ce sont probablement des arguments de vente. Non, ce qui m’a frappé, c’est le résumé du roman, accompagné d’un petit commentaire, lui attribuant pas moins de 9 genres différents par un cumul des mandats assez ébouriffant. On nous dit alors que le roman qu’on s’apprête à lire n’est rien d’autre qu’un roman de Science-Fiction, historique, policier, politique, épique, d’amour, initiatique, théologiques, et « peut-être même à codes et à clés… ».
Puis en exergue, Jacques Attali nous donne les références historiques et littéraires que nous croiserons dans son roman, citées par ses soins, de l’épopée de Gilgamesh au Roi Lear en passant par des lettres que Mozart avait écrites à sa sœur ou les commentaires secrets des alchimistes de Prague et des cabalistes de Safed. Alors c’est sans doute personnel, mais quand on me donne des clés référentielles avant la lecture d’un roman qui se vante d’être à clés, je vois ce genre de pré-explication de texte comme de la vantardise plus qu’autre chose ; j’ai le sentiment que l’auteur se tient derrière moi, prêt à me taper sur l’épaule à la moindre allusion pour me dire « hey, t’as vu, c’est balaise hein ? ».

Mais passons sur ce grief léger pour nous concentrer donc sur ces ambitions qui m’ont tant fâché. Et je me dis que l’idéal, finalement, pour parler au mieux de mes sentiments à l’égard de ce roman, c’est de le prendre au mot – un peu cruellement, j’en conviens – et de le juger à l’aune de ses propres revendications.

Un roman de Science-Fiction, donc. Oui, sans aucun doute. Là-dessus, il n’y a pas erreur sur la marchandise. Si j’ai pu ricaner à la mention initiale d’un « naufrage sur une étoile », dénotant d’un cruel amateurisme en matière d’astro-physique, je me suis quand même assez vite repris, et j’ai noté assez vite un réel sérieux dans la construction de l’univers de Tantale. Alors oui, évidemment, il y a quelques raccourcis habituels du space-opéra, faisant fi de la relativité du temps ou autres joyeusetés du genre, mais ce n’est pas un réel péché à mes yeux dans un récit dont l’ambition est clairement plus thématique que technique. Non, très franchement, il y avait dans le premier tiers de ce roman beaucoup de très bonnes idées et de fulgurances qui m’ont très agréablement surpris venant d’un auteur que je pensais si peu versé dans la pensée transversale que j’admire tant en Science-Fiction. Jacques Attali a indubitablement pris soin de construire un monde cohérent, dont le fonctionnement fait globalement sens, et qui soit assez agréable à découvrir, du moins tant qu’il s’agissait de pure exposition.
C’est une fois cette pure exposition passée que le bât commence à blesser, lorsque l’auteur commence à vouloir plonger plus profondément dans des concepts plus complexes, dont les ramifications vont plus loin que ses domaines de compétences habituels, à savoir l’économie et la politique, pour verser par exemple dans la biologie. Et là, bien que mes compétences personnelles soient assez légères dans le domaine, j’en conviens bien volontiers, je me suis régulièrement retrouvé à hausser un sourcil dubitatif, pour ne pas dire agacé devant des trouvailles dont les implications ne pouvaient pas survivre deux secondes au moindre examen un peu exigeant.
Alors, oui, vraiment, c’est de la Science-Fiction. Est-elle qualitative pour autant, je dirais que non au delà du world-building, sans doute ce qui a bénéficié du plus grand soin de la part de Jacques Attali ; il aurait sans doute bien mieux réussi s’il s’était contenté d’anticipation ou de dystopie sur des bases qu’il maitrisait vraiment, plutôt qu’un space-opéra bancal manquant trop souvent de soin et de technicité pour éviter les pires écueils du genre. De ce point de vue, on est à mes yeux clairement dans une Science-Fiction faite par quelqu’un qui n’y connait pas grand-chose, destinée à des gens qui n’y connaissent rien.

Un roman historique, oui, aussi, clairement, puisqu’on passe littéralement 75% (au pifomètre, j’avoue) du roman à lire les leçons d’histoire qui sont prodiguées à son héroïne à propos de Tantale par tous ses interlocuteurs. Un bon roman historique, pour autant, encore une fois, je crains que non ; tout simplement parce que Jacques Attali enchaîne les versions contradictoires des mêmes événements pour servir le propos thématique de son roman, racontées par des personnages dont on ne sait jamais vraiment si la parole est complètement fiable ou dénuée d’intérêts personnels accessoires. Qui plus est, l’histoire de Tantale apparaît très vite comme une parabole des pires moments de notre histoire moderne (oui, cette histoire moderne), et les parallèles se font aussi inévitables que cruellement peu subtils. Et si je ne juge absolument pas le besoin comme la légitimité d’exorciser de tels traumatismes par le truchement de la littérature ou quelque art que ce soit, je ne peux pas faire l’impasse sur la réalisation en elle-même pour autant. Dans ce roman, ce parallèle tombe comme un cheveu sur la soupe et se mélange terriblement avec le reste des thématiques brassées par le récit, faisant perdre tout sense of wonder à l’intégralité des révélations qui suivent, perdues d’avance par une interprétation devenue automatique et cruellement pragmatique.
Si j’aime me faire tendre un miroir déformant par l’Imaginaire que je lis, c’est à propos de questions qui méritent d’être discutées, pas de celles sur lesquelles l’immense majorité du genre humain est censée être tombée d’accord précisément à cause des événements avec lesquels Jacques Attali dresse ses parallèles. Qu’au moins mes certitudes soient un peu bousculées plutôt qu’uniformément confirmées.

Ce qui nous amène au roman policier. Tout simplement non. Il aurait fallu une véritable enquête, au moins, pour mériter cette qualification générique. Or, notre héroïne est la plus passive que j’ai jamais lue. Vraiment, elle se laisse balader par les événements du début à la fin du roman, sans jamais faire la moindre découverte dont elle aurait été l’origine. Elle se contente de suivre le parcours tracé pour elle par son père et ses allié·e·s, sa seule obsession et son seul objectif étant de le retrouver, quand bien même elle dévoile des secrets terribles le long de son « aventure ». Et puisqu’elle a été préparée tout le long de sa vie par son grand-père et sa mère avant que les événements lui tombent dessus, elle n’a jamais le mérite de la moindre déduction, tout ayant été prémâché dans une sorte de prophétie auto-guidée ; sans compter sur la chance inouïe que tout se passe comme prévu malgré le nombre absolument incroyable d’impondérables potentiels sur le chemin.
Golischa se fait littéralement narrer autant qu’à nous tous les événements qui ont bouleversé Tantale et son histoire, sans jamais faire preuve de la moindre initiative ou réflexion positive ; elle n’est là que pour réagir et faire ce qu’on attend d’elle, baignant dans un mystère artificiel et cruellement ennuyeux, créé par le refus systématique de répondre à la moindre de ses questions. On l’enjoint à chaque fois à attendre ou faire preuve de patience ; quand on sait pertinemment que c’est à nous qu’on s’adresse plutôt qu’à elle. Il n’est pas question de la lire découvrir toutes les choses qu’on nous raconte, elle n’est qu’un vaisseau pour une intrigue, une leçon d’histoire, dans laquelle elle n’a pas la moindre espèce d’importance au delà de celle qu’on lui prête mais dont je ne crois pas avoir jamais été témoin.

Un roman politique, oui, sans doute, puisqu’il s’agit aussi d’une plongée dans les arcanes d’un pouvoir déliquescent, qui s’appuie sur de nombreuses manipulations de l’histoire et l’abus de ses prérogatives face à ses nombreuses quoique discrètes oppositions. Là encore, le récit bénéficie de l’expertise de Jacques Attali dont la réputation d’éminence grise n’est plus à refaire, qu’elle soit légitime ou non. Le système qui est dépeint est crédible dans le contexte dont il dépend, il raconte des choses intéressantes sur la nature du pouvoir et les mécaniques qui le sous-tendent ; il offre sans doute à l’auteur ses meilleurs moments et ses fulgurances les plus pertinentes. Alors forcément, on se perd dans les noms bien trop nombreux et les révélations plus confusantes qu’autre chose, à ne plus savoir qui est réellement important ou non, mais je suis sûr que l’exercice du live-tweet a sans doute flouté mes perceptions, donc je n’insisterais pas trop, par honnêteté intellectuelle. C’est sans doute l’aspect le plus réussi, peut-être parce que Jacques Attali n’essaie pas d’en faire des caisses dans le domaine et y mesure la force de la mesure ; là où il a sans doute certaines choses à prouver dans les autres.

Un roman épique. Là j’imagine que c’est avant tout une question de définition et de perception. En partant de la parenthèse établie dans l’introduction accolant à « épique » « trois siècles dans la vie d’une grande famille » ; alors oui, certes, effectivement, littéralement, c’est exact, puisque notre héroïne est une descendante d’une famille dirigeante présente depuis les débuts de la colonie de Tantale, et que l’histoire qui nous est racontée couvre effectivement plusieurs siècles d’histoire. Si le roman reste relativement ramassé et dense et me semble un peu disqualifié quant aux longueurs que je crois de rigueur pour les épopées avec ses 343 pages, mon manque de connaissance me fait prendre des pincettes avec mes propres idées, pour le coup, donc je n’irai pas plus loin.
Par contre, pour ce qui est du ton censément épique de l’ouvrage, c’est non pour moi. À vouloir régulièrement être technique et précis, le récit, de fait, perd en extraordinaire et en panache, d’autant plus que ses personnages manquent terriblement de personnalité et de souffle. À seulement raconter des événements passés du point de vue d’un présent désenchanté et désincarné, ces derniers n’ont aucun impact, pas plus que leurs protagonistes ; et puisque tout est déjà arrivé, il n’y a aucun autre enjeu que la compréhension de ces événements, on ne peut pas vraiment avoir d’investissement émotionnel dedans.
Alors certes, à la fin du roman, on a un début d’interprétation épique de tout ce qui nous a été raconté auparavant, dans une sorte de proto-épopée improvisée par un personnage, pour donner corps à l’idée que les histoires changent au fil de leurs transmissions, que seuls les cœurs de leurs messages subsistent ; mais cela ne suffit absolument pas. Dire que l’histoire qui est racontée va devenir une épopée dans la diégèse qui la contient, cela n’en fait pas une épopée.

Un roman d’amour. Ce sera très rapide : non, absolument pas. Pas une mention d’une quelconque attirance ou inclination, d’un début de séduction entre notre héroïne et qui que ce soit de tout le roman, à l’exception d’un bout de paragraphe terrible vers la fin du roman, faisant regretter à Golischa qu’un homme soit mort, parce qu’elle pensait qu’elle finirait par se marier avec lui ; avant de se tourner vers un autre homme qu’elle a à peine côtoyé pour se dire que ce sera sans doute lui, du coup. Sans compter que cette satanée introduction nous promettait trois inclinations, et même en étant très généreux dans ma perception, de fait, je n’en ai lu que deux.

Un roman initiatique, alors ? Si on veut, j’imagine, puisqu’on suit le parcours de Golischa de ses 6 ans à la fin de son adolescence, tout le long de sa préparation à son rôle particulier jusqu’à la réalisation du plan conçu par son père pour elle. Le problème à mes yeux étant bien évidemment que Golischa est absolument inutile et ne semble rien apprendre de tout ce qu’elle traverse, pour finir par simplement accepter un destin qu’elle ne semble pas vraiment comprendre et qui la liera sans doute à des hommes qui prendront ses décisions pour elle ou la résumeront à son rôle de mère. Initiation, oui, sans doute ; mais à un modèle qu’il me ferait mal de voir subsister au delà des étoiles.

Un roman théologique. Alors là, oui, sans le moindre doute, puisque dès le départ un lien est établi avec la Cabale et les légendes qui l’entourent, et que tout le récit se veut construit autour de la légende d’un texte religieux qui donnerait accès à la vie éternelle, cause d’absolument tous les événements qui nous sont narrés, ou plutôt qui sont narrés à Golischa. Le fait est que le texte tout entier baigne dans un sacré nombre de références, notamment à la culture juive, que je n’aurais pas la prétention de pouvoir recenser exhaustivement, et encore moins comprendre.
Ça donne un texte qui parfois nous gratifie des fulgurances des rabbins qui font leur légende, sachant discuter de leur propre foi avec une réelle honnêteté et une malice assez rafraichissante, loin de tout fanatisme ; mais ça se mélange quand même assez mal avec le reste du récit qui se prend forcément très au sérieux le reste du temps. On se retrouve régulièrement avec des discussions terriblement pompeuses à contre-courant total du récit, à propos d’enjeux devenus totalement étrangers à ceux qu’on est censé suivre, et c’est aussi ennuyeux qu’épuisant. Je ne dis pas que la nature du divin ou la vivacité de la foi sont des sujets inintéressants, au contraire ; mais j’aurais sans doute été plus enclins à lire les réflexions de Jacques Attali dans un essai dédié à la question plutôt qu’au milieu d’un roman qui semblait me promettre bien d’autres choses avant de me piéger dans ses atermoiements.

Et « un roman à codes et à clés », alors ? Très honnêtement, je n’en sais trop rien. Si les parallèles que j’ai relevés moi-même faisaient partie de ces codes à déchiffrer, alors, très franchement, je n’hésiterais pas à dire que Jacques Attali se fout de la gueule du monde (oui oui) ; parce que ce codage serait alors aussi amateur que prétentieux, la pire des combinaisons. Si ces codes dépendent plutôt d’une connaissance de la Cabale ou de l’énigme contenue dans le roman – dont les personnages m’auraient donné des éléments que je n’ai pas relevés et qui donneraient une autre signification aux événements – alors je m’incline plus humblement, tout en admettant d’office que je n’ai ni l’envie ni le courage de me replonger dans le roman pour le découvrir.

Tout ça pour dire quoi, finalement ? Parce que oui, ce roman est en grande partie ce qu’il prétend être, et ce décorticage exhaustif ne peut pas entièrement expliquer le dégoût que je lui ai prêté en introduction. Eh bien tout ça pour dire qu’à vouloir tant faire de choses à la fois, tout simplement, Jacques Attali n’en accomplit réellement aucune. Tout est superficiel, insuffisant, et atteint de fait un terrible niveau de prétention, puisqu’est prêté à tous les propos une importance et un niveau de préciosité insupportables, d’autant plus qu’on ne comprend pas la moitié de tout ce qui nous est raconté, notamment à cause d’un ton souvent mystique et emprunté du plus mauvais effet. À force de se prendre au sérieux, ce roman est régulièrement tombé dans l’auto-parodie, me tirant une ou deux fois de réels éclats de rire nés de mon incrédulité ; ma patience était trop souvent à bout.
En un mot comme en cent, surtout, qu’est-ce que je me suis fait chier, bon sang. On suit un personnage qui ne comprend rien, ne fait rien, ne pense rien, se laisse promener le long d’un parcours tout tracé. Dans ce dernier on devine autant la volonté de son père que celle de l’auteur qui avait juste besoin d’yeux innocents à pouvoir bouger à sa guise pour montrer sa création à sa guise ; quitte à tricher à deux reprises et simplement changer de point de vue parce que ça l’arrangeait. Je n’ai jamais été intéressé par ce que Jacques Attali me racontait, parce que je le sentais trop vautré dans son autosatisfaction, sans doute persuadé d’avoir inventé quelque chose d’absolument extraordinaire, trop fier de tracer les lignes de métaphores trop évidentes et d’énigmes trop ennuyeuses pour que j’ai envie de les résoudre ; me retrouvant à soupirer d’évidence à leurs poussives résolutions.
Et comme toujours, le pire est que j’y ai vu du potentiel, dans ce roman : il en avait. Mais simplement, pour que je m’intéresse à ce qu’il racontait, il aurait fallu le raconter autrement, le cadrer différemment, simplement faire preuve dans la narration des mêmes ambitions que dans la création de l’univers qui la supportait. Une telle densité d’informations – parfois contradictoires entre elles – il aurait fallu la diluer sur un nombre bien plus important de pages ou même de volumes, pour lui donner l’importance et la gravité qu’elle nécessitait ; ou simplement faire de Golischa une réelle enquêtrice, qui serait allée chercher toutes ses informations plutôt qu’une greluche sans personnalité qui se contente de suivre toutes cielles qui lui racontent ce qu’iels veulent bien lui dire parce qu’iels pensent pouvoir en tirer un certain profit. Oui, elle m’a beaucoup énervé, autant pour ce qu’elle était que pour ce qu’elle signifiait sans doute aux yeux de Jacques Attali. Sérieusement : « Tu ne seras une femme que par les enfants que tu auras. »

Je crois en avoir assez dit. Ce roman était une absolue purge, une de mes pires expériences de lecture. Insuffisant, prodigieusement ennuyeux et terriblement prétentieux, surtout avec 30 ans de décalage. Je veux bien admettre la possibilité de pas en avoir tout compris, mais le cas échéant, je partirais assez volontiers du principe que la faute lui en incombe malgré tout pour ne pas avoir su se rendre suffisamment clair et fluide ; je l’ai lu avec d’autant plus d’attention que je devais le raconter en même temps. La chronique, je l’espère, en parallèle de mon live-tweet, aura rendu compte avec sincérité de mon ressenti et vous aura permis de vous faire une idée de ce qu’est ce roman si singulier qu’il méritât qu’on le baptise ainsi jusque dans son titre. Il aura à mes yeux tout raté à force de vouloir tout faire en même temps, ne prenant même pas la peine de correctement répondre aux questions qu’il posait.
Mais j’ai envie de finir sur une note plus positive, faire contre mauvaise fortune bon cœur.
Alors si vous voulez un bon roman de SF, lisez plutôt Le Goût de l’Immortalité de Catherine Dufour.
Un bon roman historique, je vous conseille la saga uchronique du Baron Noir d’Olivier Gechter.
Pour un roman policier, pourquoi pas tenter La Griffe du Chien de Don Winslow ?
Niveau roman politique, je vous conseillerais volontiers Grish-Mère, d’Isabelle Bauthian.
Si c’est un roman épique qu’il vous faut, alors précipitez-vous sur Les Lions d’Al-Rassan de Guy Gavriel Kay.
Si c’est l’amour qui vous intéresse, lisez Les Oiseaux du Temps, d’Amal El-Mohtar & Max Gladstone.
Pour un roman d’initiation qui fait l’unanimité, même si je ne l’ai pas aimé, personnellement, vous serez sans doute entre de bonnes mains avec Vita Nostra de Sergueï et Marina Diatchenko.
À mes yeux, Demain les Chiens de Clifford D. Simak fait un excellent travail théologique, bien que selon un angle différent.
Et si vous voulez un roman à clés, alors je vous conseille fortement d’essayer de vous procurer une copie intacte de S. de J.J Abrams & Doug Dorst.

Voilà. Tous ces romans font à mes yeux un bien meilleur travail que Jacques Attali. Et ça me paraît une conclusion plus souriante ; j’en avais besoin.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

3 comments on “La vie éternelle, roman, Jacques Attali

  1. Yuyine dit :

    J’apprécie ton dévouement pour la cause, je n’aurai jamais pu lire ça. Mais quelle critique! Formidable. Autant que le roman ne l’est pas j’ai envie de dire ^^

    Aimé par 1 personne

    1. Laird Fumble dit :

      Merci beaucoup. ❤

      J’aime

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