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Impossible Planète – Episode 43

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Une certaine vision de l’enfer. Un enfer technologique étranger, aussi angoissant par ce qu’il laissait deviner de familier qu’absolument terrifiant par ce qu’il montrait d’incompréhensible. Iels étaient arrivé·e·s d’un bond dans le laboratoire d’un savant, fou ou si sain d’esprit qu’il en touchait la folie par l’autre bout. Quoique vue la taille de l’endroit, l’endroit pouvait difficilement n’être que le fait d’une seule personne, les savants xénos devaient nécessairement être plusieurs à avoir conçu un tel musée des horreurs.
À peine rendus visibles par une chiche lumière verdâtre émanant de leurs bases, des silos gigantesques, des aquariums, des contenants transparents de toutes sortes, tailles et compositions, des bocaux géants, faute d’une meilleure image. Des pupitres, des écrans, des câbles, toujours à l’échelle des xénos, osaient ponctuellement briser la cohorte d’abominations qui bordaient les étroites passerelles composant le noyau.
Mais il était impossible de détacher ses yeux de ce que tous ces contenants offraient cruellement à la vue. Des cadavres, rien de moins qu’une litanie de corps étranges, endommagés ou intacts, semblant tantôt plongés dans un sommeil reposant ou dans une infinie souffrance causée par une trop évidente torture. Impossible de ne pas entendre les petits plops de bulles invisibles éclatant un peu partout, de ne pas respirer les sinistres sifflements d’un air qui semblait soudainement vicié, comme corrompu par l’atmosphère délétère qui s’imposait soudainement à iels.
Plus aucune similitude avec la surface. Au revoir les bâtiments proprement alignés, l’air frais et l’illusion d’espace, d’une certaine liberté malgré les circonstances. Ce noyau et son secret, c’était le rappel brutal à la réalité, le seau d’eau glacée dans la tronche pour se réveiller d’un rêve douillet. Et sans doute le signe que tout le monde faisait fausse route depuis le début, finalement ; ce que l’équipage voyait n’était simplement pas cohérent avec ce qu’il pensait savoir.
Pourquoi collectionner des cadavres, certains en morceaux à peine reliés entre eux, dans de grandes ou étrangement petites vasques remplies de ce qui devait être un liquide proche du formol au cœur d’une planète artificielle faisant apparemment guise de base de loisirs, cachée dans une étoile à commande manuelle ? Pourquoi ces espèces là n’avaient pas eu le droit, comme l’équipage, au traitement de résurrection ? Ou y avaient elles eu droit jusqu’à ce qu’une limite quelconque ait été atteinte ?
La stupeur et l’incompréhension avaient saisi l’équipage, qui avançait désormais lentement, hagard, en direction de tout ce qui pouvait attraper sa curiosité, frissonnant au moindre grincement sous leurs pieds, sursautant au plus petit choc, au plus insignifiant mouvement brusque au coin de leurs yeux. C’était lugubre, d’autant plus que le contraste avec la surface joyeuse et lumineuse semblait s’intensifier avec chaque pas qui les éloignait de l’entrée éphémère, déjà perdue par la rotation incessante de la sphère qui désormais les contenait. Le changement brutal d’atmosphère était tellement palpable qu’Hector lui-même sut saisir la gravité de l’instant, attendant qu’on le sollicite pour se manifester à nouveau.
Agcen ne prit même pas le temps de s’interroger sur la technologie ou le tour de passe-passe xéno qui leur permettait de se déplacer sur ce sol qui semblait aussi stable qu’à l’assiette sans ressentir la pression légère mais habituelle d’une gravité artificielle. Il était trop obnubilé par la créature qui faisait l’objet de son attention depuis qu’il en avait seulement aperçu la silhouette.
Elle était titanesque. Rien que la taille du silo nécessaire à son stockage donnait le vertige et la crainte d’un torticolis si on s’en tenait trop près pour voir au mieux ce qu’il y avait à l’intérieur. Un mélange absurde entre un reptile et un singe, de près de 4 mètres de hauteur, sur 1 mètre cinquante de large. Agcen eut une fugace pensée pour ses camarades qui se dispersaient tout autour de lui dans un silence de cathédrale, happé·e·s iels aussi, mais par d’autres occurrences étranges ou morbides qui ne pouvaient qu’exciter leur propre curiosité. Puis les écailles brillantes, aussi lisses que celle d’un serpent, dont l’iridescence sublime s’affranchissait de l’opacité du liquide qui maintenait le corps en place, lui firent oublier jusqu’au contexte de cette découverte.
Sublime. Il n’arrivait pas à trouver d’autre terme. Lui qui rêvait un peu d’écrire, un jour, qui se targuait d’avoir un vrai, beau vocabulaire, lui qui se faisait des phrases dans sa tête durant toutes les occasions qui auraient valu le coup d’être racontées ; il était bouche bée, tant physiquement que spirituellement. Parce que malgré toutes les découvertes faites par la Fédération, malgré toutes les espèces extra-terrestres qu’on avait pu rencontrer ou intégrer au sein de cette dernière, il n’avait jamais vu ou entendu parler d’une créature telle que celle-là.
Un quadrupède géant selon tous les standards en vigueur – ou qu’il pensait être en vigueur, il n’était pas spécialiste – dont le corps était couvert de longues plaques écailleuses lisses comme emboîtées dans un océan de fourrure mi-courte qu’on devinait soyeuse malgré le bain liquide permanent. La bête était artificiellement maintenue dans une posture debout par des câbles fins et des tubes qui devaient sans doute préserver ses organes et circuits sanguins de l’intérieur, selon une analyse amatrice et rapide qu’Agcen présumait fausse mais qui s’imposait à son esprit, par habitude et vagues souvenirs de SVE. Il n’avait jamais aimé ses profs, mais il se souvenait très bien de la principale leçon qu’on leur matraquait chaque année, à lui et ses camarades : la vie n’a pas beaucoup de schémas viables, on retrouve toujours les mêmes choses avec d’infinies mais infimes variations.
Et pourtant, ce truc monstrueux qui lui évoquait simplement un modèle (XXL)² de tatou sans y regarder de trop près, il lui mettait une indicible chair de poule, les miquettes aux mêmes proportions. Il y avait un truc qui n’allait pas dans le tableau. Alors Agcen colla son nez à ce qu’il fallait bien appeler une vitre, et les mains en coupe, tant qu’il y était, pour déceler le détail que son cerveau avait déjà capté, mais sans l’amabilité de lui faire passer le mémo.
Vingt secondes plus tard, il émit et étouffa de la main un cri d’horreur en comprenant enfin, et en s’en voulant terriblement de n’avoir pas compris plus tôt. Ce n’était pas une bestiole, ou une créature, encore moins un monstre, ce qui était emprisonné devant lui. C’était un autre xéno. Ce qu’il avait pris pour des écailles n’étaient rien d’autre qu’une combinaison partiellement détériorée, cintrée à l’extrême, peut-être atteinte par une quelconque réaction chimique due au liquide de conservation ; on aurait dit par endroits que les écailles avaient fusionné avec la fourrure.
Et même avec deux mètres de distance, il était facile de discerner les lanières d’un masque visuel nonchalamment posé sur le crâne de ce qui était finalement la victime d’une macabre exposition scientifique. Les xénos à l’origine de cette planète semblaient pourtant être capable de faire la différence entre l’organique et le matériel, en dépit de leur propre existence dénuée de tout accessoire pratique, en tout cas selon ce qu’il en savait, alors pourquoi exposer leurs prises ainsi ? Étaient-elles vraiment des prises, d’ailleurs, ou bien de plus respectables mais tout aussi glauques récupérations opportunes destinées à des études scientifiques, ou à des expositions exotiques malsaines ? Tout laissait à croire que ce noyau et son contenu n’avait rien à voir avec le reste des installations, l’ambiance sale et inhospitalière en était témoin. Mais après tout, personne n’avait vraiment les codes culturels nécessaires pour en jurer sans potentiellement se vautrer dans un ethnocentrisme aussi regrettable que prévisible.
Et puis merde pour la peur et le silence de cathédrale, Agcen se résolut à rompre le silence, faisant vibrer les passerelles dans un écho métallique de mauvaise augure.

« Hector, tu nous entends encore bien ?! »
Bah oui couillon, pourquoi je vous entendrais plus ? Ou même moins bien, d’ailleurs. J’suis trop puissant mec, c’est pas pour avoir des problèmes d’audition, non mais. Ce manque de resp…
« Oui oui, ta gueule, on a pas le temps. Tu disais que t’avais rien pu identifier sur cet endroit, c’est ça ? Que t’avais juste un plan, et rien d’autre ? »

Un petit silence vexé lui répondit, puis un grommellement résigné résonna dans sa tête. Si ce truc qui leur parlait depuis tout à l’heure était une imitation, c’en était une de foutrement bonne qualité., il fallait lui reconnaître ça.

Oui, c’est ce que je vous ai dit. Merci d’au moins m’écouter, à défaut de me parler correctement, en tant – après tout – que membre à part entière de cet équipage. Pourquoi tu me demandes ça ?

Les autres membres de l’équipage avaient iels aussi accès à la conversation, par les oreilles et les synapses, et s’étaient rapproché·e·s d’Agcen par habitude et envie d’être inclus·e·s dans le processus ; il se passait quelque chose d’important. Il leur laissa quelque secondes pour le rejoindre et jeter un dernier regard sur toutes ces choses étranges qui avaient attiré·e·s leur attention comme ce foutu tatou avait pu le faire pour lui, pour mieux s’en détacher ; il fallait se concentrer pleinement sur la tâche présente.

« Parce que je me dis qu’on va devoir bosser ensemble pour comprendre exactement ce qui se passe ici au plus vite. Puisque de toute évidence t’as aucun support visuel sur le contenu du noyau, on va devoir te décrire les choses ou trouver un moyen de te transmettre les images pour que tu puisses opérer des rapprochements entre tes documents et quoi que puisse être ce putain de bordel. Je sais ce qu’a dit Cap’, en soi, on a pas besoin de savoir exactement ce qui se passe dans ce foutu noyau, on a surtout besoin de se casser d’ici ensemble et de s’en sortir en vie. »

Il laissa échapper un soupir peut-être un peu trop dramatique, mais les regard convaincus de ses camarades renforcèrent sa foi en l’idée qu’il s’exprimait pour iels tou·te·s en cet instant.

« Mais franchement, faut qu’on sache, quoi, c’est pas plus compliqué que ça. Je peux pas laisser la présence d’un tatou velu géant avec des lunettes de soudeur et une combinaison en écailles dans un silo de formol sans explications, je refuse. Comme je suis sûr que tu refuses de ne pas avoir d’explication à la présence de ce qui ressemble quand même furieusement à un morse avec un pull over et des doigts au bout de ses nageoires… Et je rêve ou il a une paire de bras derrière la tête ?!
– Ouais. J’crois qu’ils sont artificiels, si tu regardes bien, reliés à son pull par un espèce de harnais métallique. Mais t’as commencé à parler à Hector avant que j’ai pu l’examiner correctement, du coup je sais pas trop. J’imagine qu’on va voir, justement. »

Andro avait son éternel sourire de gosse collé au visage. Il ne voyait pas l’horreur de la situation, lui, heureux innocent attaché au présent comme un cratère à son astéroïde, jamais soucieux des implications ou des conséquences, seulement de ce qui était. Y avait un morse extra-terrestre en pull avec des doigts et bras artificiels, pourquoi aller chercher plus loin que cette simple question ? C’était difficile de lui en vouloir, n’était-ce que parce qu’il fallait bien reconnaître que c’était aussi rafraîchissant qu’agréable, d’avoir un profil comme le sien dans l’équipage, là où le cynisme affiché de Tombal pouvait avoir un côté lassant, à force. Le nihilisme, c’est quand même plus fréquentable quand il est positif. Heureusement que le pilote forçait suffisamment pour qu’on se rende régulièrement compte qu’il le faisait exprès, quand même, la cohabitation aurait été pénible, sinon.
Agcen se secoua. C’était pas le moment de verser dans la nostalgie sensible.

On fait quoi, du coup, parce que moi je veux bien faire ma part hein, c’est bien pour ça que je vous ai attiré·e·s ici ; mais sans consigne, je reste aveugle et pas capable de grand chose.

Agcen allait lui répondre avec le semblant de plan qu’il avait échafaudé quand il se retrouva bouche ouverte et silencieux devant Cap’ qui reprit sans forcer la direction des opérations avec son autorité naturelle.

« Hector, puisque de toute évidence t’as de la puissance de calcul à revendre, tu te scindes en sous-commissions internes – je sais pas comment dire autrement, m’emmerde pas – une pour chaque membre de l’équipage, et tu privatises les échanges. On part dans nos coins respectifs, on examine tout ce qu’on trouve, on met éventuellement en commun quand ç’a du sens, on fait un bilan régulier ; mettons toutes les deux heures pour commencer, et puis on voit comment tu gères l’accumulation des infos. À force, on devrait pouvoir capter quelques trucs et avancer à partir de là. Je mets mon statut en jeu par contre : hors de question qu’on s’éternise, d’accord ? Peu importe ce qu’on trouve ou ce qu’on comprend maintenant, on ne va pas plus loin qu’une simple explication ; les implications, les possibilités, le potentiel, toutes ces conneries, c’est pas pour nous. Je te regarde, Larsen. Et toi aussi, Burrito, me prends pas pour une conne, je l’ai vu ton sourire. Je comprends votre excitation, vraiment. Mais faut pas oublier qu’on joue notre vie sur cette connerie de planète hein, aussi. Surtout, même. Alors on prend un peu de temps, parce que ça peut nous être utile, mais oubliez pas que ça pourrait nous être fatal, quand même, hein. Vous êtes pas bêtes, et on se fait confiance. »

Quelques sourires entendus, un bourdonnement dans les crânes, de multiples voix internes qui y résonnent intimement, et des expressions sérieuses qui trouvent leurs places sur des mines résolues. Le discours a été efficace.
Agcen se tourna vers le silo qui avait tant accaparé son attention, s’apprêtant à en faire le tour pour trouver dessus ou alentours des questions auxquelles Hector aurait pu l’aider à répondre. Mais une main saisit son poignet. Avec fermeté, mais douceur. Il fit encore demi-tour, surpris. C’était bien Cap’ qui accrocha son regard avec résolution.

« Pas de rancune ou d’accusation sournoise. J’apprécie ta prise d’initiative. Mais n’oublie pas qui commande ici, quand même, d’accord ? »

Elle ne lui laissa pas le luxe d’une réponse, elle s’en alla vers les objets de sa curiosité avec un sourire franc mais entendu sur les lèvres. Agcen hocha la tête avec sa propre version sur les siennes.
Il murmura :

« Je risque pas d’oublier, Capitaine. »

Alors qu’elle ne le regardait ni ne pouvait seulement le voir, il salua, fièrement.
Puis se mit au travail avec Hector. Qui semblait ravi.

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