search instagram arrow-down

Si vous ne me suivez par sur les réseaux sociaux, où je suis le plus actif, vous pouvez être prévenu.e par mail à chaque article.

Rejoignez les 117 autres abonnés

Infos Utiles

Mes réseaux

Archives

Terra Ignota T4 – L’Alphabet des Créateurs, Ada Palmer

Wildfire & Wildfire (LEC version) – Against The Current
Baby Outlaw – Elle King (extrait de l’album Shake The Spirit)

Une lecture, je l’ai déjà dit et je le redis, c’est avant tout un mélange. Entre le contexte de lecture, le·s nom·s sur la couverture, le passif d’une éventuelle saga ou d’une œuvre passée, l’humeur de la personne qui lit, les intentions et ambitions de l’auteurice, les moyens mis à leur disposition, etc… Tout un faisceau variable dans ses dimensions et ses composants aux implications aussi diverses ; le même ouvrage, lu dans des circonstances différentes ou avec quelques éléments de plus ou de moins peut être reçu de façons diamétralement opposées. Quelque chose que j’essaie de ne jamais oublier lors des rédactions de ces chroniques, ou même au cours de mes lectures, puisque mes chroniques et leurs articulations s’y préparent désormais autant que mes sentiments s’y débattent.
Et il ne faut vraiment pas que je l’oublie aujourd’hui, parce qu’il va s’agir d’expliquer aussi précisément que possible et sans me voiler la face sur la réalité de mes sentiments pourquoi cet Alphabet des Créateurs, malgré ses indéniables qualités, a été une terrible déception pour moi, du genre à me rendre triste pour des jours. Car si je pense que mon humeur récente et les circonstances entourant ma lecture ne m’ont pas forcément aidé à nettoyer préventivement le tableau de sa noirceur, et si je crois aussi que je n’ai pas assez pris de précautions pour canaliser mon enthousiasme et anticipation débordant·e·s avant d’ouvrir ce quatrième tome ; je crois aussi, quand même, qu’Ada Palmer a finalement raté son coup, du moins à mon endroit.
Il va donc falloir faire preuve de beaucoup de nuances pour expliquer mon amer ressenti.

Pour le dire vite, les craintes que j’avais exprimées au moment de ma chronique de La Volonté de se Battre se sont, pour tout ou partie, réalisées. Car même si ce 4e volume n’est finalement que la première moitié du réel 4e tome original – en attendant le 5e volume qui sortira cet automne – il me semble que la direction prise par Ada Palmer ne me convient tout simplement plus. Là où les trois premiers volumes, et surtout Trop Semblable à l’Éclair et Sept Redditions m’avaient séduit autant que convaincu par un world-building exigeant allié à une galerie de personnages et d’enjeux complexes et profonds, le tout magnifié par un tourbillon stylistique à l’avenant, ce quatrième volume m’a quasi-complètement laissé de marbre sans que je n’arrive à m’expliquer exactement pourquoi pendant ses deux premiers tiers.
Au départ, j’ai cru que c’était simplement du au changement de narrateur ; le neuvième Anonyme étant somme toute sympathique mais manquant du caractère singulier d’un Mycroft, disparu au début de la guerre qui parcourt l’ouvrage. J’ai pendant quelques centaines pages cru que c’était de sa faute, si j’avais perdu une part de ma passion pour ce qui nous était narré. Mais au fil du récit, j’ai compris que ce n’était pas le cas, ou du moins pas totalement le cas. Si j’ai perdu cette passion enfiévrée, c’est parce que je crois que le récit lui-même en est arrivé à un point de bascule terrible où le sense of wonder était lui-même porté disparu ; victime du slowburn que lui a infligé Ada Palmer.

Comprenons nous bien : ce roman n’est pas mauvais, et je ne crois pas que ses défauts me feront renoncer à clamer jusqu’au bout qu’Ada Rules. Il y a trop, vraiment beaucoup trop de bonnes choses là-dedans pour que je change d’avis, à moins d’un ratage vraiment complet et définitif dans le 5e et dernier tome. Non, le problème à mes yeux, là, c’est juste qu’en dépit de son singulier talent et de ses idées extraordinaires, l’autrice en a trop fait, trop mis. Au delà d’une quelconque lassitude ou d’une fatigue de lecture (qui n’est pas à écarter) de mon côté, je crois que c’est surtout d’une overdose dont j’ai été victime. Overdose de questions sans réponses, d’abord. Trop d’éléments, mis les uns à la suite des autres, s’additionnant sans cesse, multipliant les mystères et les zones d’ombres, et dont les éventuelles réponses ne sont finalement que de nouvelles questions déguisées, à force, surtout en s’approchant de la conclusion, c’est épuisant ; je dois admettre que j’en ai un peu marre de courir après autant de lièvres sans jamais avoir la certitude que les attraper sera la fin de l’épreuve.
Parce qu’à force, oui, c’était un peu une épreuve, quand même. Et pourtant, bon sang, j’adore être mis à l’épreuve par ce que je lis ; mais là, soit je ne suis juste plus au niveau, soit Ada Palmer s’est mise à voguer dans des hauteurs qui me sont inaccessibles, soit elle pêche par hubris. Je crois que c’est un peu des trois, pour être honnête, et je reviens à cet idée de trop plein. Entre les intrigues et sous-intrigues techno-géo-politiques, la réalité froide, clinique, d’une guerre faisant éclater ce qui se pensait comme une Utopie à l’abri du moindre problème, les symbolismes philosophiques et religieux et les applications pour le moment incompréhensibles de concepts terriblement complexes et leurs implications nébuleuses, sans compter les nouveaux retournements par dessus les anciens qui étaient eux-mêmes venus par dessus d’anciens nouveaux retournements : c’est quand même un peu le bazar.

Alors forcément, c’est Ada Palmer, je lui fais confiance, au bout du bout, pour faire sens de l’ensemble, ce n’est pas le problème, et en dehors de quelques détails qui me laissent dubitatif ou circonspect, très franchement, je pense quand même avoir saisi l’essentiel du propos et des idées développées. Sauf que pour la première fois depuis le début de cette saga… Bah j’étais pas captivé. Lassé, peut-être. Je n’étais pas non plus convaincu que tout ce qui était là était vraiment important, que tout était à sa place pour une bonne raison. Alors forcément, l’excellence d’Ada Palmer a surnagé plus d’une fois, et j’ai souvent hoché la tête par respect, comme je le fais toujours en lisant son travail ; mais pour autant, je n’ai jamais été constamment admiratif sur le temps long comme j’ai pu l’être par le passé ; pour la première fois, je me suis dit que beaucoup de ce qu’avait écrit Ada Palmer dans cet Alphabet des Créateurs aurait pu être écrit par n’importe qui d’autre ; que l’altérité totale à laquelle elle m’avait habitué s’était perdue dans des idées et des considérations presque trop réalistes, trop évocatrices de choses déjà vues. En prenant le temps nécessaire pour me faire tomber amoureux d’idées, Ada Palmer en a raté l’occasion de me décrire le monde dans lequel ces idées vivaient ; je me suis donc trouvé fort dépourvu lorsque la guerre s’en fut venue. Et bordel, que ça me fait mal d’écrire ça, mais c’est pourtant le cas. Au delà de certains des choix – les détails sus-cités – qu’elle opère au sein de son récit, dont je ne peux pas dire que je sois fan malgré leur cohérence et l’éventuelle finalité de son plan, c’est surtout la technicité exacerbée des deux tiers de ce volume qui m’a embêté (ennuyé serait un terme beaucoup trop violent et fort, donc injuste).
Et ça aussi, ça me contrarie. Parce qu’en soit, imaginer la guerre au sein d’une Utopie hyper technologique moribonde, c’est au moins aussi passionnant que de raconter cette même Utopie, surtout avec l’éclairage habituel que sait y projeter Ada Palmer. Sauf qu’avec le changement de narrateur et le bouleversement des enjeux qui va avec, on se retrouve avec un simple compte-rendu détaillé et statistique de la guerre. Plus du tout les mêmes implications, plus du tout le même niveau ou même simplement le même cadre de réflexion ; après 3 volumes entier de Mycroft et de considérations spirituelles, philosophiques et politiques, on balance tout par la fenêtre et on recommence à zéro avec de nouveaux yeux. Ça devient froid et clinique en dehors des considérations purement liées au neuvième Anonyme, qui est m’est plutôt sympathique, encore une fois. C’est pas incohérent à l’échelle d’un monde en guerre, en y réfléchissant deux minutes, j’en conviens. Mais pour autant, après avoir été habitué pendant plus de 1500 pages à un type de discours et de regard, passer à 540 de quelque chose de radicalement différent, ça picote franchement, et ça déçoit quand ça change tout à ce point là.

À cet égard, il me faut sans doute préciser plus avant la nature de ma déception. Elle n’a de valeur, de réel poids, qu’à l’aune du travail d’Ada Palmer et des attentes qu’elle a suscité en moi avec ses trois volumes précédents. Je ne pourrai réellement me prononcer quant à la finalité de cette déception qu’une fois le cinquième volume achevé, puisque je n’oublie pas que ce quatrième tome n’en est qu’à moitié un et que son analyse ne saurait être complète sans sa moitié manquante. Mais pour autant, ma confiance est relativement maigre, je l’avoue, en raison d’une bonne partie des choix opérés par Ada Palmer pour initier ce dernier tome en deux parties et la conclusion de sa saga. Gros spoilers obligent, je suis un peu limité dans l’explication de mon ressenti, forcément. Mais j’ai un peu trop eu le sentiments de pirouettes, aussi cruel que ça puisse sonner, là où j’avais été habitué à d’habiles circonvolutions et à un plan savamment orchestré. Et si l’autrice blague elle-même sur la présence d’un para-littéral Deus Ex Machina, la blague n’en fait pas moins effectivement un Deus Ex Machina, procédé dont j’oserais dire qu’elle vaut mieux que ça. Alors oui, ça fait sens à l’aune du récit, encore et toujours, ce n’est pas le problème ; il y a là une explication logique dans la diégèse, une symbolique intéressante, j’en conviens. Ce n’est finalement qu’une question de direction prise : je trouve beaucoup de ces choix étranges, presque incohérents avec tout ce qu’on nous a raconté jusque là.

Et finalement, ma déception n’est rien d’autre qu’une cruelle incompréhension, un manque d’explications finales ; la frustration complète de ne pas avoir un ensemble fini sur lequel pouvoir porter un jugement en bonne et due forme. Aucun blâme à porter au Bélial, qui a clairement fait le bon choix en découpant ce dernier tome en deux ; la densité du bouzin n’aurait pas été supportable dans un écrin deux fois plus gros qu’il ne l’est déjà. Surtout aucun reproche à faire, bien au contraire, à Michelle Charrier qui encore une fois fait un travail exceptionnel à la traduction, et à qui je devais de nouveau faire un signe amical, quitte à briser complètement le rythme : c’est important.

Alors voilà. Peut-être que j’étais trop chaud à la réception, que je ne me suis pas assez préparé à me confronter à un changement pourtant partiellement annoncé. Ou peut-être qu’avec la conclusion de sa saga Ada Palmer va finalement prendre une direction qui pour moi serait un parjure des promesses formulées dans ses trois premiers tomes. Terra Ignota est donc de fait à un point de bascule assez terrible pour moi qui jusque là était prêt à jurer qu’elle serait une des pierres fondatrices d’une Science-Fiction moderne aux côtés de laquelle je voudrais me battre jusqu’au bout. On n’est pas encore au point où je pourrais me dédire, mais de la deuxième moitié de cette conclusion dépendra sans doute mon enthousiasme à défendre corps et âme l’entièreté de la saga ou simplement son introduction, dont la qualité demeurera incontestable à mes yeux malgré tout, je crois. On verra donc à l’automne prochain où je me situe ; parce que malgré toutes mes réserves sur ce quatrième tome, demeure une chose essentielle, cardinale, vitale, pour tout ouvrage que je peux lire :
Il faut que je sache.
Et ça, ça veut bien dire, quand même, qu’Ada Palmer sait ce qu’elle fait bien mieux que moi, et que mes reproches ne comptent pas. J’aurais beau dire tout ce que je veux à son sujet, il demeure que Terra Ignota, c’est quelque chose ; il aura bien fallu faire brûler une sacrée flamme dans mon cœur pour que quelques simples giclées d’eau froide me créent une telle frayeur de la voir s’éteindre. Et même si cette flamme devait un jour s’éteindre ou cesser de tant briller qu’elle m’éblouit, j’aurais toujours le souvenir de sa chaleur.
Quoiqu’il arrive, donc : Ada Rules.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. Gradatim. 😉

4 comments on “Terra Ignota T4 – L’Alphabet des Créateurs, Ada Palmer

  1. L'ours inculte dit :

    C’est rigolo j’ai ressenti tout ça au tome 1 :p

    Aimé par 1 personne

    1. Laird Fumble dit :

      Je m’en suis douté.
      J’ai failli te citer et utiliser ton néologisme maison.

      Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire
Your email address will not be published. Required fields are marked *