
Bad Idea – Blind Channel (extrait de l’album Lifestyles of the Sick & Dangerous)
Les peurs conjuguées d’enfoncer des portes ouvertes et de me répéter dans le même temps font que je me trouve plus ou moins dépourvu d’idée originale pour introduire correctement cette chronique. Alors dans le doute, on va dire que cette malhabile pirouette fera l’affaire, j’espère que vous saurez me pardonner. Parce que Le Parfum, c’est encore un de ces textes qui me font de l’œil depuis longtemps et loin de l’autre côté de ma zone de confort. De l’œil, autant par une certaine forme de curiosité intellectuelle que d’envie de comprendre pourquoi ce texte revient si souvent dans autant de discussions et d’évocations de textes singuliers. Par dessus tout, finalement, si je me suis décidé à enfin m’y mettre, c’est comme trop souvent pour moi : pour savoir. Et aussi parce que le texte est relativement court et que j’ai envie de volumes limités depuis quelques temps, histoire de respirer.
Une habile et ironique transition que je me fournis involontairement à moi-même, puisque respiration, parfums, tout ça : rires. En fait, ça se voit peut-être un peu, mais je gagne vaguement du temps dans l’intro pour me donner du volume général à l’échelle de la chronique. Mon problème avec Le Parfum, c’est qu’il mérite absolument son excellente réputation, mais que de fait, je me retrouve un peu perdu en termes argumentatoires pour vous expliquer mon ressenti.
Mais promis, je vais faire de mon mieux quand même.
Et pour ce faire, je vais faire exception à mon résumé succinct habituel, parce que je trouve que les premiers paragraphes du roman font absolument le taff à ce niveau là : encore une habile transition, sans ironie cette fois, que je me me fournis cette fois-ci volontairement.
Parce que ces premiers paragraphes, ils instaurent d’emblée, je pense, la plus grande qualité du récit fait par Patrick Süskind, à savoir sa distance. J’en ai déjà parlé par ailleurs – par exemple dans ma chronique sur La Fontaine des Âges – lire un protagoniste négatif/détestable, c’est pour moi un pari très très risqué. Parce que je crois très fort à l’idée que tout écrit, aussi fictif soit-il, est politique ; au moins dans la mesure où sous l’angle d’une analyse minimale, il produit forcément un jugement moral sur ce qu’il raconte, ne serait-ce qu’au travers de ce qui est dit ou tu. Or, le narrateur du récit qui nous concerne aujourd’hui prend immédiatement parti et ne cessera de le faire tout le long du récit, dépassionnant immédiatement tout questionnement autour de notre abject protagoniste : il ne s’agira jamais de trouver des excuses ou la moindre empathie envers Jean Baptiste Grenouille. Non, il s’agira uniquement d’exposer, cliniquement, mais efficacement et exhaustivement, tous les aspects de sa vie et de ses choix. Alors évidemment, la démarche, encore une fois, j’insiste est plutôt risquée. D’abord parce que le style choisi par l’auteur est très descriptif et extrêmement précis, se laissant volontiers aller aux énumérations ou aux répétitions pour bien rendre compte des errements mentaux de son personnage principal ; et évidemment, surtout, parce que Jean-Baptiste Grenouille est évidemment un salopard de première, égoïstement obsédé par une seule chose et en conséquence parfaitement amoral. Et c’est là que la distance citée plus haut fait incroyablement bien le travail. Dès le départ, on sait qu’il ne s’agira pas de ressentir une quelconque sympathie pour ce monstre génial, mais seulement de constater les dégâts, avec le luxe absolu du recul. Avec la même fascination que celle qui nous empêche de ne pas regarder un accident de voiture.
Et que dire d’autre que l’évidence : c’est magistral. J’ai été captivé de bout en bout, en dépit que quelques longueurs, peut-être ; très largement compensées par un lexique impeccables, une galerie de personnages incroyable et un ton ironique mordant qui habite tout l’ouvrage d’une férocité rare. Moi qui habituellement aie besoin d’au moins un personnage positif auquel me rattraper, ici, je crois que la narration en faisait office, par le biais de cette fameuse distance, écrivant d’une certaine manière entre les lignes. Je ne saurais pas exactement jurer de ce que Patrick Süskind voulait exactement signifier au travers de ce roman, en dehors de la simple trajectoire destructrice causée par une âme malade traçant son sillon telle un trou noir mobile. J’ai cru y déceler une sorte d’anti-fable cynique, décrivant par le menu le pouvoir conféré par un génie dénué de boussole morale ; même si cette interprétation me laisserait un peu trop à croire qu’alors l’auteur verse dans le nihilisme à mon goût : c’est compliqué. Mais c’est je crois l’apanage des grands textes comme celui-là : il n’est jamais aisé d’y trouver le sens instillé intentionnellement sans une part de relecture et de réflexions supplémentaires, ne fut-ce que pour être vraiment sûr. Et puis étant donné qu’on n’y trouve strictement aucun personnage positif, à part pour y finir comme une victime, je crois que la démarche est quand même plus offensive que désabusée ; satirique, sans doute. J’aurais bon dos d’oser dire que la satire n’a pas mon approbation, surtout quand elle s’exerce très justement aux dépens de personnages avilis par leur avidité et leur hubris, les rendant aveugles aux bassesses d’un monstre auxquels ils permettent d’exister et de faire ce qu’il veut.
Tout ceci étant dit, si j’ai effectivement trouvé mon compte dans un texte aussi volontiers crasseux, c’est surtout pour des raisons techniques, si j’ose dire. J’ai effectivement été fasciné au premier degré par la psyché malade de Grenouille, et j’ai été emporté d’un bout à l’autre du roman par ma curiosité, ici morbide : je peux aisément comprendre que ce n’est pas la même chose pour tout le monde, et ce malgré le soin de Patrick Süskind – que je salue – à ne jamais verser dans le voyeurisme ou le gore. Non, si horreur il y a, elle n’est vraiment que dans les esprits, ce que je trouve, d’une certaine manière, assez élégant.
Mais j’ai d’abord et avant tout été bluffé par la maîtrise littéraire de l’auteur, tant dans ses descriptions que dans ses explorations psychologiques ou dans certaines de ses audaces narratives. Comme pour La Mort du Roi Tsongor ou encore plus récemment pour Éversion, quoique à des échelles différentes ; j’ai été soufflé par le cisèlement des choix effectués. J’admire profondément ces textes où on sent que rien ou presque n’est laissé au hasard, où le moindre ajout ou pire, la moindre soustraction, pourraient absolument ruiner l’équilibre d’une scène ou d’une séquence. Si Le Parfum a tant fonctionné pour moi, c’est bien, comme toujours quand je suis si enthousiaste, parce que le texte aligne parfaitement ses moyens et ses ambitions, encore une fois. Le bon ton pour raconter la bonne histoire de la bonne manière. Ç’a l’air si simple, dit comme ça ; et pourtant je reste toujours aussi admiratif de cielles qui parviennent à construire leurs ouvrages avec ce succès, parce que c’est finalement si rare.
Alors voilà. Le Parfum n’est sans doute pas un roman pour tout le monde, c’est certain. Mais diable qu’il est compliqué à ne pas considérer comme un singulier monument de son genre ; ne fut-ce que par son particularisme, précisément. Aussi bête à dire que ce soit, encore une fois : je n’ai jamais lu un roman comme celui-là, écrit de cette manière et avec une telle excellence et une telle précision (Et ce même si je confesse sans mal un certain retard dans le domaine). Certaines réputations ne sont pas usurpées, c’est tout.
Formidable découverte, je ne regrette pas la prise de risque. Au contraire.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
Je la trouve très bien, cette chronique ! Très intelligemment écrite et argumentée. Je serais curieuse de le relire, ma lecture ayant bientôt quinze ans, mais j’en garde un excellent souvenir !
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C’est très gentil, merci beaucoup !
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