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Le Cycle de l’Ekumen T1/Le Cycle de Hain T5 – Les Dépossédés, Ursula K. Le Guin

If You Build It – KONGOS

On ne pourra pas dire que je n’ai pas tout essayé. Après les essais relativement infructueux de La Main Gauche de la Nuit et des Quatre vents du Désir, je me suis dit que j’allais encore laisser une dernière chance à Ursula Le Guin de me montrer exactement pourquoi elle revêtait une telle importance aux yeux de cielles qui l’aiment tant. Je me disais qu’à force, avec l’expérience de sa plume et de ses intentions visibles, je pourrais, comme avec Jack Vance ou d’autres, mieux appréhender ses ambitions et donc mieux apprécier son travail ; m’avoir à l’usure, en quelque sorte. Parce qu’en dépit de mon absence régulière d’un réel plaisir de lecture à son contact, je ne peux pas nier un véritable intérêt à l’envers de ce déplaisir. J’ai toujours trouvé des choses intéressantes à analyser, à décortiquer, dans ces deux ouvrages précédents, simplement noyées dans des aspects littéraires perçus comme plus ennuyeux ou trop nébuleux pour que je parvienne à en percer les mystères.
Et donc, Les Dépossédés. Très souvent vantée comme l'(autre) œuvre cardinale de l’autrice, je me suis lancé dans la lecture de ce volume comme on se lancerait dans un ultime test : ça passe ou ça casse. Si je n’étais pas capable de comprendre la démarche de l’autrice une bonne fois pour toutes, et de ne pas y trouver mon compte, alors ça ne servirait plus à rien d’insister ; ce serait la preuve définitive que notre relation littéraire n’est pas faite pour durer, qu’il y a là une incompatibilité d’humeurs indépassable et stérile.
Autant dire que ce bouquin avait une sacrée mission à accomplir, et que j’avais un poil de pression sur mes fragiles épaules en l’entamant. Et qu’une fois ma lecture terminée et ma chronique en amorce de rédaction, je ne suis guère plus avancé. J’ai bien l’air malin, tiens.

D’un côté, Urras, planète fertile et prospère, vivant selon les principes du capitalisme prédateur, aux nombreuses inégalités et injustices. De l’autre, Anarres, fondée en opposition à Urras il y a bien longtemps, sur des principes de solidarités et de rejet de toute forme de hiérarchie, aride et pauvre, mais qui pourtant, survit. Et entre les deux, Shevek, physicien de génie, possédant dans son esprit les équations et principes qui permettraient à terme à l’humanité toute entière de faire un bond technologique significatif. Fièrement élevé sur Anarres mais dubitatif quant à aux développements récents de sa culture, et bien que craintif des principes régissant Urras ; il traverse l’espace entre les deux planètes pour tenter de trouver une issue favorable aux deux parties et à ses valeurs.

Commençons par une comparaison, même si cette dernière, nous le savons, n’est pas raison. Mais ma lecture des Dépossédés m’a pas mal fait penser à mon expérience de lecture avec Un Pays de Fantômes : j’ai trouvé une évidente proximité de forme comme de fonds entre les deux ouvrages. On y parle d’anarchie en opposition à un système verticalisé, et on fait passer le récit au travers des yeux d’un homme plongé au cœur d’un système qui lui est totalement étranger. Bien qu’ici il faille noter que c’est l’anarchiste qui se retrouve plongé dans un système impérialiste, ce qui confère à l’ouvrage une charge complètement différente, ne fut-ce que parce que son regard sur le système dont il est issu est tout aussi critique que celui qu’il porte sur le système qu’il découvre. C’est le premier crédit que je veux porter à Ursula Le Guin : le ton politique de ce roman fait mouche à plus d’une occasion, tout comme sa manière de mettre en lumière ce qu’elle tient à mettre en lumière.
On y trouve des analyses fines des mécanismes les plus vertueux comme les plus sournois des systèmes politiques qu’elle dépeint au travers des yeux de Shevek ; ces analyses trouvant d’autant plus de véracité qu’elles s’appuient sur les expériences d’un personnage organique et irréprochable d’humanité, ainsi que sur un jeu de langages assez bluffant dans sa simplicité apparente. Si la construction du roman n’est finalement qu’une succession de dialogues d’exposition et de discussions de concepts politico-philosophiques au fil des chapitres, dépeignant les fonctionnements des environnements que traverse Shevek, comme des gens qui les habitent, ça passe relativement bien précisément parce que Shevek y vit. Sans lui et ses doutes, ses atermoiements bien compréhensibles, ses questionnements sur les choix à faire et les constats à tirer des événements qu’il traverse, sans son souffle, ce récit n’aurait pas le quart de sa portée et de son efficacité, il manquerait de la chair dans laquelle faire vivre les conséquences de ce que l’autrice dénonce et analyse.

Alors voilà : les descriptions d’Urras et Anarres faites par Ursula K. Le Guin, comme celle d’une terre future, plus tardivement dans le roman, sont implacables. Du moins quand on partage ce qui semble être son positionnement politique ou – à mes yeux – un minimum de lucidité sur l’état du monde qui nous entoure. Ce qui est indubitablement très très fort quand on considère que ce bouquin a été publié en 1974, où c’était déjà un peu le zbeul mais quand même pas autant qu’aujourd’hui, vous en conviendrez. De ce point de vue là, je n’ai absolument rien à dire, le roman est aussi visionnaire que diablement efficace. La dénonciation en règle du capitalisme prédateur faisant de certaines personnes les possédants et d’autres personnes les possédées, comme la reconnaissance des limites de systèmes horizontaux aux ambitions vertueuses trop carcantés dans des principes doctes menant à des abus similaires à ceux des systèmes qu’ils comptent précisément dénoncer par leur propre existence, oui, ça me parle beaucoup. L’analyse est bonne et la lucidité d’Ursula Le Guin me paraît viser en plein cœur de la cible, avec nuance, mais pas sans férocité quand nécessaire, sans jamais occulter le fait que les choses de la vie, à tous les niveaux, sont compliquées.

Sauf que – et si vous me connaissez un peu vous m’aurez vu venir – sauf que… Eh bah au final pour moi, ça ne fonctionne toujours pas. Il y a toujours quelques trucs qui ont gêné mon expérience. Des trucs qui, j’avoue, quand vient le moment de les formuler, me paraissent un peu compliqués à formuler sans me donner le sentiment d’abuser. Mais ce sont après tout mes sentiments, et quitte à devoir les nuancer plus tard en les affutant au feu de la contre-critique, autant que je les livre tels qu’ils me viennent, on verra bien ce que ça donne. Notons à l’occasion que ces sentiments peuvent aussi avoir été nourris par mes réceptions des deux ouvrages précédents signés de sa plume : ça joue sans doute.
Alors voilà : je trouve qu’Ursula Le Guin, quand même, elle a tendance à pontifier. Parce qu’en dépit de tous les compliments que j’ai pu formuler à l’égard de Shevek ou des personnages qu’il croise et avec qui il échange, et dont je ne démordrais pas ; je n’ai jamais pu me détacher de l’impression de lire Ursula Le Guin plus que tout autre chose au fil de ce roman. Ce que je veux dire par là, c’est qu’en dépit de ses clairs – et réussis – efforts de carnation de son récit, je n’y suis jamais réellement rentré, trop conscient que j’étais de lire une démonstration. Alors certes, relativement réussie, voire clairement réussie, même si elle prêchait globalement un converti avec moi, mais une démonstration quand même. Ou plutôt une succession de démonstrations, comme je le sous-entendais plus tôt : chaque chapitre est une nouvelle occasion de développer un nouveau point ou d’opérer une transition de cadre pour préparer le prochain dialogue exposant une nouvelle problématique.
Et au bout d’un moment, ça se voit quand même pas mal, et surtout ça souffre d’une terrible artificialité que les personnages, en dépit de leur organisme, ne parviennent jamais vraiment à compenser. Des dialogues alourdis par des formulations ampoulées voire prétentieuse, des enjeux semblant extérieurs à l’intrigue de par leur importance et leur portée universelle ; j’ai plus d’une fois eu la conviction de lire Ursula Le Guin discuter avec elle même plutôt que ses personnages entre eux. Et plus ponctuellement, aussi, l’impression de la lire s’écrire et se lire avec orgueil, j’avoue : quelques passages superfétatoires et lénifiants dont l’intérêt m’a complètement échappé.

En vrai, je suis bien embêté, parce que mon sentiment sur ce roman est à la fois complètement le même que pour La Main Gauche de la Nuit, et pas du tout. Je comprends amplement l’importance qu’il a pu avoir sur pléthore de gens, tout comme j’intègre avec une certaine paix de l’esprit l’idée qu’il est simplement arrivé beaucoup trop tard dans mon parcours pour pouvoir me marquer de la même manière. Et en même temps, je suis terriblement frustré de ressentir cette distance avec l’autrice, convaincu à la fois par ses valeurs et son indéniable talent, mais souffrant aussi de cette impression qu’il lui manquait peut-être un peu de l’humilité nécessaire pour pouvoir me toucher moi, parvenir à se mettre à mon niveau. Frustré de toujours me sentir repoussé par ce sentiment qu’elle en faisait un peu trop, y compris lorsqu’elle n’exprime rien d’autre que la vérité, ou du moins des opinions avec lesquelles je suis viscéralement d’accord, mais d’une manière que je trouve trop lyrique, ampoulée… arrogante (?). Le bon adjectif m’échappe. Et tout ça sans parler de cette impression que ce récit en particulier ne sait pas vraiment se conclure. Mais bref, d’autant plus frustré que si je la trouve parfois un peu arrogante, elle, pionnière indéboulonnable et indiscutable de la science-fiction, qu’est ce que ça dit de moi ? Je détesterais passer pour prétentieux, ou pire, vraiment l’être. Qui suis-je pour dire que « Ursula Le Guin, je respecte, oui, mais je trouve qu’elle aurait pu faire mieux, surtout concernant ses chefs d’œuvres. » ?
C’est peut-être ça, finalement, qui me gêne tant quand je la lis : le reflet qu’elle me renvoie du haut du piédestal sans doute mérité sur laquelle on l’a placée. Après tout ce temps, je demeure gêné par l’idée de ne pas me joindre aux chœurs des louanges, ou alors d’une façon plus timide ; avec quelques réserves. Ça veut sans doute dire quelque chose de moi ou du système culturel dont je suis issu – sans doute des deux – mais je ne pense pas que ce soit le moment ou le lieu pour creuser la question.

Les Dépossédés n’est donc pas un échec, mais il n’est toujours pas une réussite. Au bout du troisième essai, celui qui devait être le dernier, je crois que ne suis toujours pas arrivé au bout du voyage avec Ursula Le Guin : je n’arrive toujours pas à réellement saisir l’essence de cette autrice décidemment bien singulière, celle qui me permettrait d’émettre un jugement définitif sur son travail, décidant ainsi si j’ai réellement envie de continuer à explorer son travail ou non. C’est un brin usant, pour être honnête. Et sans doute un signe plus parlant dans le sens de l’abandon que de la persévérance, quand on y réfléchit, un peu. Mais pour autant, je ne sais toujours pas. J’ai trouvé – jusqu’ici – autant de raisons d’aimer que de respectueusement ignorer de travail de cette autrice, mais pour autant, je n’arrive pas à vraiment trouver un équilibre satisfaisant entre toutes ses raisons, me faisant jongler avec sans parvenir à m’arrêter. Je me console en me disant qu’elle n’a certainement pas besoin de moi pour exister, et que c’est très bien comme ça.
Rendez vous au prochain épisode, j’imagine. Je sais pas trop quand, par contre.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

2 comments on “Le Cycle de l’Ekumen T1/Le Cycle de Hain T5 – Les Dépossédés, Ursula K. Le Guin

  1. tampopo24 dit :

    Comme je me retrouve dans ta chronique et ta critique, ton analyse analyse du style de l’autrice quand j’ai lu la main gauche de la nuit, j’ai eu exactement les mêmes sentiments. J’ai la même frustration de ne pas arriver à vraiment aimer son style alors que ces idées me parlent. Et quand je vois ce que tu dis de ces autres romans que tu as essayé, je me dis que ce n’est définitivement pas pour moi. Tant pis je me contenterai des avis et des fiches lectures des uns et des autres 😅

    Aimé par 1 personne

    1. Laird Fumble dit :

      Merci beaucoup, je me sens moins seul, du coup.
      Et ravi d’avoir pu aider. =)

      Aimé par 1 personne

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