
J’ai rencontré le nom de Jimmy Guieu au hasard d’un de mes nombreuses discussions littéraires sur Twitter ; il faut croire que j’ai vraiment un chance insolente par là bas. Je ne saurais dire exactement quelle réputation a le bonhomme, j’ai juste compris que son côté gratte-papier frénétique et l’époque de rédaction de la majorité de ses romans de SF lui donnaient une patine singulière et mémorable, sans nécessairement être qualitative. Si vous me suivez depuis quelques temps maintenant, vous savez que j’ai un petit problème de curiosité malsaine, alliée à un sens tout personnel du sacrifice ; en témoignent ma chronique d’Ajedhora d’un certain Francis Lalanne, ou mon live-tweet et mes chroniques d’un roman en deux tomes de L. Ron Hubbard (oui oui, lui-même), Terre Champ de Bataille.
Et comme je n’apprends pas de mes erreurs, quand j’ai croisé une étagère pleine de romans de ce fameux Jimmy Guieu dans une bouquinerie, je me suis dit que l’occasion était vraiment trop belle. Et me voilà après un nouveau live-tweet, pour vous livrer de façon un peu plus cadrée mon sentiment sur cette lecture de Réseau Dinosaure. Autant vous le dire, mon sentiment final est assez partagé.
D’un côté, il y a l’enthousiasme d’avoir trouvé dans cette lecture une potentielle source d’amusement quasiment illimitée en sachant à quel point j’ai eu le luxe d’être accompagné de plein de gens aussi enthousiastes que drôles pendant ce live-tweet et la quantité d’autres romans que Jimmy Guieu a écrit qui promettent d’être d’un calibre similaire. De l’autre, il y a le regret de n’avoir pris dans cette étagère pleine que deux volumes seulement quand une trentaine me tendait les bras, pour pas cher du tout. Ce roman se prêtait parfaitement au format du live-tweet, parce que court, direct, avec quelques concepts et idées vraiment sympas, et en même temps un niveau de battage de reins assez incroyable.
Je vais essayer de vous expliquer ça, mais je vous préviens, c’est pas simple.
Marc Audibert est l’assistant de l’éminent professeur paléontologue Barnier. Ils mènent des fouilles non loin du château d’un comte, ami de ce dernier. Au hasard de ces fouilles, ils découvrent un squelette incroyablement bien conservé de dinosaure, à côté du squelette d’un humain. Plus curieux encore, ils découvrent une balle qui semble issue d’une arme lourde dans le squelette de ce dinosaure ; puis arrivent à la conclusion que cette balle n’est pas une balle ordinaire. Pire, qu’elle a sans doute été tirée à l’époque des dinosaures. Autant dire qu’il va falloir faire la lumière sur cette histoire. Et que nos héros ne sont pas prêts à ce qu’ils vont découvrir.
Commençons donc par l’intrigue, puisqu’elle était clairement ce qu’il y avait de plus prometteur dans ce roman, surtout en adéquation avec son titre. Disons le clairement : c’est du grand n’importe quoi. C’est sans doute un peu la faute du thème principal du roman *spoil mineur*, à savoir le voyage dans le temps, qui, on le sait, est probablement le concept le plus casse-gueule de toute la science-fiction. Mais alors, quand on sait comment, même avec le plus grand soin dans son traitement, c’est aussi délicat, imaginez quand on y va sans la moindre précaution et le minimum syndical de réflexion ; tout droit. Et une fois que vous avez imaginé ça, imaginez encore pire. Voilà. À un moment de ma lecture, très sincèrement, j’en suis venu à appeler l’auteur Jimmy « YOLO » Guieu ; et je crois que ça va me rester.
C’est pas tant que son intrigue n’a aucun sens ou qu’elle est foncièrement mauvaise. Très honnêtement, avec un tout petit peu plus de soin, plus de temps pour la développer proprement et un environnement plus propice à la prendre au sérieux, on aurait sans doute pu être en présence d’une série B littéraire tout à fait réjouissante sans prise de tête. Sauf que comme tout va à 300 à l’heure et que le roman est perclus de moments plus absurdes les uns que les autres qui s’enchaînent sans aucune respiration, comme par peur d’un potentiel ennui, on perçoit encore plus les trous béants qui s’additionnent, sans pouvoir vraiment les pardonner. Alors certes, on sent bien une certaine décontraction dans les lignes, le roman a l’immense qualité de ne pas non plus trop se prendre au sérieux, mais ce n’est pas suffisant pour compenser son inconséquence globale.
Il faut simplement se rendre à la plus élémentaire évidence, ce roman, par dessus tout, a pris un énorme coup de vieux. Parce qu’il développe des idées basiques aujourd’hui avec la déférence qu’on accorde à ce qu’on considère comme les piliers de son récit, et qui paraissent mineures au mieux, au pire risibles, aujourd’hui. J’ai déjà eu l’occasion de l’évoquer, la SF, ça vieillit encore plus vite que notre réalité, parce que mêmes nos idées vieillissent ; typiquement, le voyage dans le temps à l’ancienne se heurte encore plus violemment que jamais au principe de causalité. Restent les concepts en eux-mêmes, si on accepte de suspendre un peu son incrédulité, mais alors il faut parvenir à créer une cohérence interne qui tienne un tant soit peu la route. Sauf que Jimmy « YOLO » Guieu se contente de tracer son histoire sur des bases terriblement bancales faisant fi de certaines logiques élémentaires qui font qu’on ne peut quand même pas tout pardonner ni oublier. Reste à en prendre son parti et juste s’amuser d’une certaine candeur dans les enjeux et leur traitement.
Typiquement, la question du sexisme à l’ancienne ne peut absolument pas être esquivée. J’ai pris, là aussi, le parti d’en rire avant tout, parce que franchement, c’est si caricatural que ça en devient presque un cas d’école. Les femmes sont des fantasmes ambulants, des créatures de tromperie ou de séduction, avant tout des trophées à collecter pour les hommes, malgré quelques rares et discrètes fulgurances de personnalité. Quant aux hommes, ils doivent s’accomplir par la virilité, la beauté et l’action, évidemment, pour mériter l’attention des femmes ; résolvant tout à coup d’intuitions et de compréhensions tronquées du monde qui les entoure sans réels efforts ni mérite.
C’est d’autant plus frustrant qu’il y a du potentiel, dans ce roman, sincèrement. Des idées, d’abord. Rien que ce concept de départ qui pourrait tout à fait donner une aventure décomplexée assez savoureuse avec le temps et le soin suffisant, mais qui se prend ici les pieds dans le tapis à la première occasion, tant Jimmy Guieu refuse systématiquement de prendre son temps. C’est un festival de concepts prometteurs, pour certains étonnamment modernes, d’ailleurs, mais traités avec une inconséquence criminelle pour tout·e amateurice de SF réflexive ou progressiste ; choisissant plutôt un divertissement bas du front et des enjeux bien trop simplistes là où il y avait vraiment moyen, avec juste quelques pages de plus, d’écrire des séquences aussi habiles qu’intelligentes. En fait, ce roman, en plus d’évidemment correspondre aux canons de son époque, pue la flemme à plein nez. Il ne parvient de fait à être ponctuellement réellement plaisant que par ce qui ressemble à des accidents. Je crois sincèrement que cet auteur avait un réel talent ; et qu’il ne voulait simplement pas travailler pour atteindre un autre niveau qualitatif, lui préférant sans doute une certaine quantité. Je dirais que quelques centaines de pages supplémentaires et un réel soin apporté à l’intrigue, on tenait un petit pulp tout à fait savoureux.
Alors que là, j’étais profondément dégouté de comprendre la signification du titre à la page 174/219, à la limite du sentiment de trahison tellement le roman était parti loin de ce qu’il semblait promettre comme concept de départ.
Mais, malgré tout, si je devais croire au concept de plaisir coupable, je dirais que ce roman en était un exemple assez parlant. Dans mon cas, je ne peux pas cacher que je ne ressens aucune culpabilité au plaisir ressenti, au contraire. C’est le luxe du temps passé, on peut se permettre une certaine prise de recul général, regarder les choses différemment de d’habitude, quelque part c’est assez reposant. Objectivement, ce roman est très mauvais, à tant d’égards que je n’ai pas préféré développer ici (le live-tweet est là pour ça) ; et en même temps, je ne peux pas m’empêcher de le considérer avec une certaine tendresse et beaucoup d’amusement. La collection dont il est issu est un témoin aussi rare que singulier d’un temps autre et révolu dont on ne veut plus mais dont il fait bon se rappeler, simplement pour se rendre compte du chemin parcouru, comme celui qui reste. Le tout reste de demeurer critique au contact d’une œuvre aussi globalement médiocre et, forcément, passéiste. Et de pouvoir s’en amuser.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soir rempli d’étoiles. 😉
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